L’empreinte isomorphique ou l’imposture des apparencesPhoto - philosophie

C’est vrai, le titre de cet article ne donne pas envie de cliquer sur « lire la suite » ! Il faut admettre que l’expression « empreinte isomorphique » (du philosophe Henri Van Lier) a de quoi rebuter les amateurs de photographie les plus passionnés. Pour ceux qui douteraient qu’il y ait la moindre application pratique, allez directement voir la vidéo en fin d’article. D’ailleurs avons-nous besoin de philo pour faire de la photo ? Je pense que… oui… au moins un peu. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai créé un stage Photo philosophie ….

Photo philosophie – Penser son art

Évidemment, il n’est pas nécessaire d’avoir lu L’Esthétique de Hegel ou La Critique De La Faculté De Juger de Kant pour réfléchir à ce qu’est la photographie et à ce qu’elle représente dans la société. Mais pour le photographe, penser son art est d’autant plus important que l’on peut se demander si c’est un art ! Un peintre, un musicien, un sculpteur… est un artiste, la question ne se pose pas. Qu’il philosophe ou non, il reste, aux yeux de tous, un artiste et ses œuvres, connues ou méconnues, restent des œuvres. Pour la photographie, c’est une autre affaire car des mondes séparent la photo souvenir faite avec un smartphone de la photo industrielle pour illustrer un rapport d’entreprise ou de la photo d’exposition tirée au charbon par l’atelier Fresson… Pour le malheur des photographes, le public ne fait pas ou fait mal la différence. Sans avoir à chercher « pourquoi », l’auteur photographe a tout intérêt à se demander « comment » s’il veut gagner sa place dans le panthéon des arts. Et c’est là qu’intervient la photo philosophie…

Représentation de la réalité versus Expressionphoto philosophie - Photo - philosophie -

La photographie représenterait le réel, chaque photo étant une image fiable d’une situation qui a existé. Cette idée commune du « vrai photographique », généralement admise comme une évidence, nuit beaucoup à l’art de la photographie, le réduisant à une sorte de miroir-enregistreur du monde. Il faut reconnaître que l’invention de la photographie dans la première moitié du XIXème siècle a d’abord été le fruit de recherches scientifiques et technologiques. Bien que la question de l’art se soit rapidement posée, le développement de la technique a visé, avant tout autre chose, à une photographie toujours plus performante dans sa capacité à « représenter le réel » par la rapidité du temps de pose, la précision des optiques et des émulsions, l’enregistrement de la couleur… Guère étonnant que les premières utilisations de la photographie consistèrent à répertorier et à classer comme ce fut le cas du « système scientifique d’identification » imaginé par Alphonse Bertillon dès 1888 pour un grand fichier photographique de police. Sous l’impulsion des industriels, la photographie est rapidement devenue accessible à tous, faisant valoir son usage documentaire tant pour l’opérateur de la simple photo-souvenir que pour le spectateur regardant un photo-reportage professionnel. La réponse des auteurs photographes a été – et ce, de tout temps mais plus encore aujourd’hui – de concevoir des images d’expression dans la documentation. On pense, bien sûr, aux admirables maîtres du genre comme Edward Curtis, Ansel Adams, Sebastiao Salgado. Ils nous ont donné à voir à travers des images d’une grande beauté, les tribus amérindiennes, les paysages originels, les mineurs garimpeiros… D’autres, surréalistes ou conceptuels, ont exploré le jeu des apparences dans le « réel photographique » comme Man Ray ou Duane Michals. Ils ont montré avec brio les contradictions de ce que l’on tient pour vrai dans la photographie. Mais dans tous les cas, nous restons dans le champ de la représentation comme si la photographie ne pouvait être autre.

De l’empreinte Isomorphique

Photo - philosophie -

Inde, Ladakh, danseur de Tcham

Une question se pose : une photographie qui serait trop floue ou exposée pour que son sujet soit identifiable, est-elle une photographie ? « Oui, bien sûr, » répondra-t-on. Mais est-elle forcément une photographie ratée ? Interrogeons-nous sur ce qu’est le médium photographique et en quoi il représente le réel. Le philosophe Henri Van Lier nous parle d’une « empreinte isomorphique », le terme illustre le processus d’enregistrement de la lumière qui est structuré, apparenté à la source lumineuse existante à laquelle il se réfère, autrement dit le sujet. Le mécanisme de la prise de vue se décompose entre le système optique qui créé l’image dans la chambre noire et l’exposition de cette image sur la surface sensible. L’optique, c’est la netteté ; l’exposition, c’est la clarté et l’instantané. Pour que l’identification du sujet soit possible il faut que les trois critères de netteté, instantané et clarté soient compatibles avec la vision cognitive humaine. Une photographie de flou optique, flou de bougé ou encore très sombre ou très claire, qui ne représente pas son sujet référent, n’en reste pas moins une authentique photographie. D’ailleurs, la marge de manœuvre des réglages possibles pour qu’une photographie soit « lisible » est très mince en regard de toutes les possibilités. C’est particulièrement notable avec la netteté (mise au point ou temps de pose) mais c’est également le cas avec les cadrages qui peuvent donner une image abstraite du sujet photographié.

Ainsi, il y aurait la possibilité d’une photo abstraite qui serait sur un pied d’égalité avec la photographie figurative. Cette dernière reste néanmoins très largement dominante chez les photographes et surtout, elle est la seule que le public considère. Faute de spectateur, un art abstrait photographique pourrait-il avoir droit de cité ?
Affaire à suivre…
De Jean-Baptiste Rabouan

Photo philo : Flou volontaire

Dans la petite vidé qui suit Jean-baptiste Rabouan vous montre l’une des techniques qui permet de créer des flous volontaires. Un exercice photo philo qui nous rappelle que l’important est souvent de s’amuser avec son appareil photo et le medium photographie

 

Pour ceux que cela intéresse, ces notions sont abordées dans notre stage photo philo qui se déroule sur 2 jours

  • Note de l’administrateur – Ph. Body – ici un article à propos de E. Curtis et de son approche de la photo réelle : Par delà le vrai du faux

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Jean-Baptiste Rabouan

Photographe de voyage professionnel, écrivain, spécialiste des procédés alertantifs

Jean-baptiste Rabouan a de nombreuses cordes à son arc : photographe, journaliste et écrivain.

Jean-Baptiste collabore avec de nombreux éditeurs de livres et titres de la presse magazine internationale. Il a été l’un des collaborateurs « staff » du magazine Grands-Reportages de 2000 à 2016 et publie aujourd’hui aux Éditions Glénat. Ses principaux ouvrages dont il signe les textes et photographies sont Ladakh, voyage au royaume de la laine, Cheminements ; Mother India et À la recherche des laines précieuses. Ce dernier a reçu le prix AJT du livre de voyage de l’année 2016 et a été publié aux États-Unis .Auteur également de deux romans : un Jardin sur le Gange, et Le Miel Amer de l’Himalaya.  En marge de la presse magazine et de l’édition, c’est aussi un tireur chevronné qui réalise lui- même ses tirages d’art classiques ou avec des procédés alternatifs

Son travail est distribué par les agences photo Laif et Light Mediation… en savoir plus

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