La revue 6Mois
Apparue en 2011, le pari avoué de la revue 6Mois est de raconter le monde, de le rendre intelligible par la force des images et du récit. Privilégier un photojournalisme débarrassé des impératifs, de l’immédiateté liée à l’actualité, qui obligent souvent à travailler trop vite et trop superficiellement. Ce n’est pas une revue photo classique – mettant en avant les belles images – même si elle en contient beaucoup. Ici, les photos font partie d’un ensemble plus vaste, d’un récit, d’une narration.
On y trouve un grand thème général (la cause des femmes, le racisme aux États-Unis, la Turquie, etc.) décliné en différents reportages (5 ou 6 environ) qui occupe environ 1/3 de la revue. Le reste est complété par des reportages sur des sujets très divers, graves ou légers, de sorte que chacun y trouve son intérêt. La taille des reportages va de quelques pages à près de 30 en comptant le texte qui suit le sujet. Un vrai plaisir quand on sait que la moyenne, en presse magasine, est la plupart du temps inférieure à 10 pages.
Par rapport à la revue Epic dont nous avons parlé précédemment dans cet article, le focus est moins mis sur l’auteur-photographe que sur le sujet et l’histoire. Il y a un rapport réel à l’actualité même si celle-ci est traitée en décalé.
Des thématiques variées
Voici par exemple les sommaires des 2 derniers numéros
6Mois n°23 – Printemps / Été 2022 Turquie, pays des illusions perdues :
- L’attrape-rêve. De l’Azerbaïdjan au Xinjiang, Mathias Depardon nous emmène en voyage au bout de l’imaginaire turc.
- Anatomie d’un coup de poing. Jour après jour, Emanuele Satolli nous dévoile les dérives autoritaires d’un régime sur le qui-vive.
- Aux frontières du réel. Guy Martin représente l’actualité agitée du pays qui se confond avec l’intrigue d’un film d’action.
- La colère s’élève à l’Est. Les civils kurdes pris dans la spirale de la répression. Par Emin Ozmen.
Voilà pour la thématique centrale – et voici les autres sujets
- Entretien avec Sabine Weiss. Graver la poésie fugace des rues de Paris ou d’ailleurs la rendait heureuse. Cette grande dame à l’œuvre foisonnante nous a accueillis chez elle, quelques semaines avant sa disparition, le 28 décembre 2021.
- Les tatoués du Bataclan. Des rescapés du concert meurtrier en 2015 ont gravé la tragédie dans leur peau. Le portraitiste Olivier Roller a rencontré ces victimes en quête de guérison.
- Macédoine du Nord. Le Norvégien Jonas Bendiksen s’est rendu à Vélès, ville industrielle moribonde, et a conçu un reportage ou tout (ou presque) est faux.
- Transhumanisme. Demain, tous pucés ? Matthieu Gafsou part à la rencontre du monde selon les transhumanistes.
- États-Unis. Depuis 2012, Isadora Kosofsky poursuit un projet documentaire sur l’incarcération des mineurs américains. Elle s’est immergée dans le quotidien de deux frères à la jeunesse confisquée.
- Liberia. Elliott Verdier tente de comprendre les thèmes de la mémoire et de la transmission générationnelle dans l’atmosphère post-conflictuelle qui règne au pays, où bourreaux et victimes continuent de vivre côte à côte.
- Photobiographie. Bill Gates se proclame comme le « sauveur du monde ». Par Fériel Naoura.
- Brésil. À quoi ressemblait la société brésilienne à la fin du XIXe siècle ? C’est la question que s’est posée Sir Benjamin Stone. En tant que photographe amateur, il retrace plus de cent ans d’archives.
- Argentine. En 2005, Cecilia Reynoso rencontre la belle-famille de son conjoint, les Flores. Depuis, elle n’a cessé de les prendre en photo, elle nous livre un album de famille éclatant.
- Portugal. Baignés de lumière ou tapis dans l’ombre, les personnages solitaires de Gil Ribeiro hantent des scènes dignes d’une superproduction.
- Mémoires vives. L’actualité de ces derniers mois disséquée par nos photojournalistes entre des trombes d’eau qui déferlent sur l’Europe au cœur de l’été, des JO tokyoïtes sans public ou le déploiement des talibans dans la capitale afghane
6Mois n°22 – Automne / Hiver 2021 – Histoire de la violence masculine
- Donna Ferrato documente depuis quarante ans les violences conjugales aux États-Unis. Ses images montrent les coups, la fuite, la police qui tarde, la justice qui faillit.
- Kasia Strek suit celles qui ne peuvent plus avorter dans leur pays, la Pologne. En plein cœur de l’Europe, un droit se meurt.
- Ester Pérez Berenguer fait vibrer les luttes sacrées de femmes mayas, qui boutent des multinationales prédatrices hors de leur territoire.
- Laia Abril archive les objets de la domination masculine. C’est brutal, nécessaire. Accepter de voir, c’est déjà comprendre.
Voilà pour la thématique centrale – et voici les autres sujets
- L’Italienne Letizia Battaglia, se livre au cours d’un grand entretien sur vingt années de travail sur la Mafia, la Casa Nostra.
- Sebastião Salgado. De 1993 à 1999, le photographe franco-brésilien a sillonné 47 pays sur les traces des exilés. Cette somme de 300 images, « Exodes », n’a rien perdu de sa puissance, alors que l’Europe ferme une nouvelle fois les yeux sur les tragédies qui se jouent à ses portes.
- En immersion dans le monde très fermé des juifs ultra-orthodoxes, l’Israélien Oded Balilty observe depuis dix ans cette communauté guidée par la loi de Dieu. Au cœur de la vie sociale, des fêtes religieuses célébrées dans une liesse effrénée… même en temps de pandémie.
Une maquette moderne et épurée
La mise en page est épurée, simple et moderne, comme la typo et la présentation. Du bel ouvrage. L’impression est de qualité et met parfaitement en valeur les photos.
Une renaissance méritée
En 2017, la revue 6Mois avait failli disparaitre – à cause de l’échec d’un autre titre (Ebdo) qui l’avait entrainé dans sa chute. La Revue Dessinée et Le Seuil ont finalement repris la revue 6Mois en même temps qu’une autre revue remarquable (XXI) dont je parlerai un de ces jours. Ils ont aussi gardé indépendance et le style de cet OVNI éditorial, pour notre plus grand plaisir.
Le mieux est évidemment de s’abonner (ici) pour les soutenir, mais on la trouve également en librairie et dans vos surfaces culturelles préférées (Fnac, Relay, Cultura, etc.). La revue 6Mois ne vit que de ses ventes d’où le prix qui peut sembler un peu élevé (29€), mais est en fait plutôt inférieur au prix d’un livre photo de 300 pages.
Bref, si vous aimez le reportage, l’actualité, les photojournalistes et les belles revues sans pub, généreuses et bien faites, vous devriez trouver votre bonheur ! Si cet article vous a plu, partagez-le sur les réseaux – cela leur fera de la pub …
Philippe Body, votre photographe formateur
Philippe photographe de voyage professionnel a deux passions : la photographie et le voyage. Après … lire plus
Merci pour cette veille et ces infos sur la presse photographique !
🙂