La rameuse de Van LongIl y avait longtemps que je n’avais pas fait une petite analyse d’image. Celle-ci est tirée du second volume de la Grammaire de l’image et intitulée La rameuse de Van Long – L’image a été faite dans le nord du Vietnam, lors du voyage photo que j’ai accompagné en 2017. Philippe Body.

La rameuse de Van Long – Le contexte de prise de vue

La photo – la rameuse de Van Long –  a été prise dans la région surnommée par les français la « Baie d’Ha Long terrestre ». Nous organisons avec l’agence locale une excursion en bateau à rame à travers le parc naturel de Van Long, un endroit préservé du sur-tourisme qui règne à Tam Coc.

Un travail épuisant et très physique

Chaque rameuse ou rameur embarque entre 2  et 6 personnes pour une balade d’1h30 environ. Sous la chaleur étouffante de la région, c’est physiquement éprouvant pour eux. Et c’est cette difficulté – et la force physique nécessaire pour faire ce travail que je voulais mettre en avant dans mon image.

Une rémunération décidée par le parti

Dans cette région plutôt pauvre c’est le comité local du parti qui gère les excursions en barque. Les rameurs (des femmes principalement, mais pas que) sont désignées à tour de rôle et travaillent en moyenne seulement 4 ou 5 jours par mois. Cela leur fait quand même un complément de revenus appréciable.

L’image documentaire – La rameuse de Van Long

Mon idée était de montrer à la fois la force physique de la rameuse et l’effort fourni. Je voulais aussi bien sûr – comme pour toute image documentaire qui se respecte – montrer le milieu dans lequel se passait l’action.

rameuse de Van Long

© Philippe Body

Devinez les paramètres de prises de vue

C’est toujours un exercice intéressant de se projeter dans la fabrication d’une image. C’est aussi le thème de mon dernier stage Ecrire ses images.  Essayez de deviner :

  • Quelle focale a été utilisée ? Ultra grand-angle (14 à 21 mm) / super grand-angle (24 à 28 mm) ou grand angle (35 mm)
  • Quelle vitesse : plus de 1/250° de sec. / moins de 1/250° de sec.
  • Quelle direction de lumière : frontale / latérale / contrejour
  • Quel point de vue : appareil de niveau / en plongée / en contre-plongée
  • Réponses un peu plus bas…

Première version

Dans la photo ci-dessous, je me suis levé pour essayer d’isoler le sujet sur l’eau. J’ai déclenché au moment où elle sort les 2 rames de l’eau en fin de poussée. C’est l’un des 2 temps forts de son geste. Le résultat est graphiquement intéressant. Le sujet se détache bien sur le fond noir de l’eau grâce au filtre polarisant qui a minimisé les reflets. Par contre, on ne voit pas le décor, on ne sait pas vraiment où on est. En clair, ce n’est pas une image de reportage.

rameuse de Van Long - première version

© Philippe Body

Seconde version

Cette fois, toujours en me levant, j’ai décidé d’inclure plus de décor derrière, en limitant le point de vue à une légère plongée. On voit cette fois très bien les rochers karstiques, la rivière et même les autres barques au fond. Le sujet se détache bien et l’image n’est pas inintéressante, mais elle est assez banale et elle ne colle pas encore avec mon intention.

rameuse de Van Long une version verticale

© Philippe Body

Les réponses

Avant de vous en dire plus il est temps de vous donner les réponses aux questions techniques :

  • Quelle focale a été utilisée ? Ultra grand-angle (15 mm)
  • Quelle vitesse : plus de 1/250° de sec. pour figer l’action malgré les vibrations du bateau
  • Quelle direction de lumière : contrejour (on voit le soleil dans la photo)
  • Quel point de vue : en contre-plongée (l’appareil est pratiquement posé sur le fond)

Construction de l’image – la rameuse de Van Long – et techniques de composition

Après ces premiers essais, j’ai pris le temps de regarder et de réfléchir un peu lors de la pause que nous faisons au frais dans la grotte. Et je me suis rappelé une image en noir et blanc qui m’avait impressionnée. C’était un portrait de Mohamd Ali, dans le quel le photographe avait utilisé un ultra grand angle et pris ses poings en premier plan. Cela donnait une force extraordinaire aux gants du boxeur et mettait en avant cet attribut.

L’ultra grand-angle met en avant le premier plan

Dans son mouvement,  lorsqu’elle poussait sur ses rames, ses bras arrivaient à quelques centimètres seulement de mon appareil et j’ai décidé de tenter le coup. Je me suis mis à ma focale la plus courte soit l’équivalent d’un 15 mm format 24×36 et j’ai adopté une légère contre-plongée. Le point de vue devait permettre que ses bras et son buste se détachent sur le ciel. Mais pas trop pour que je puisse conserver des rochers qui indiquent où se passe l’action.

la rameuse de Van Long

© Philippe Body


A cette distance dans le viseur d’un ultra grand angle tout va très vite et on pourrait être tenté de travailler en mode rafale. Mais ce serait un mauvais choix. Le mouvement d’une rameuse est parfaitement régulier et il est facile de se « caler » dessus. Cela permet d’être plus conscient du décor, de son expression, etc. Le mode rafale déconcentre. On laisse faire l’appareil, mais le nombre de vues ne fait pas tout.

Du point de vue de la composition, c’est la symétrie créée par la position des bras et des rames qui fait la force de l’image. Les bras – que l’on découvre musclés – de la rameuse encadrent son visage et la mettent au cœur de la composition. Le  cadrage centré est obligatoire avec ce type de focale à cette distance sous peine de grave déformation. Il amplifie le côté symétrique de la photo. Il fait aussi ressortir le visage caché sans cela par le grand chapeau conique et fait paraitre la femme « plus forte et grande que nature ». Ici la clé de l’écriture de l’image c’est le choix de la focale.

rameuse de Van Long - décryptage

© Philippe Body

Le problème du contrejour

Il y avait des nuages dans le ciel qui masquaient partiellement le soleil, sans cela l’image aurait été surexposée à ce niveau. J’ai fermé le diaphragme – ce qui permet de minimiser la taille visible de l’astre et j’ai attendu qu’il soit dans un coin de l’image. Si j’avais pu, je l’aurais caché derrière la rameuse.

Hiérarchie des éléments visuels

En ce qui concerne la lecture globale de l’image de la rameuse de Van Long – c’est-à-dire la lecture rapide opérée automatiquement par notre cerveau, le patron  de l’image est évidemment l’être humain ( et plus précisément visage et yeux). La haute lumière du coin à droite constituée par le soleil attire énormément l’œil et elle n’apporte rien. C’est un défaut, mais qui passe par rapport à l’ensemble des qualités de la photo. L’une des variantes présentée plus bas n’a pas ce défaut. C’est celle qui a été choisie par mon agence photo, mais ce n’est pas mon premier choix.

Le sens de lecture

Comme souvent dans les cadrages centrés, la lecture est très rapide. L’œil va directement sur le visage de la rameuse. Ce sens de lecture est amplifié par la position des bras et des rames qui encadrent son visage.

Les variantes

Ci-dessous, c’est la position des bras qui changent. Ils ne sont pas placés symétriquement comme dans l’autre image et un peu plus bas. Mais le soleil a disparu en dehors du cadre ce qui fait un fond moins surexposé. On voit que le fait que la main droite de la rameuse (à gauche sur l’image donc) soit juste un peu plus près de moi la rend encore plus impressionnante. Avec un ultra grand-angle de près, chaque centimètre apporte un changement.

rameuse de Van Long une autre varainte

© Philippe Body

Variante N°2

Quelles différences voyez-vous ? Le point de vue a changé : cette fois c’est une légère plongée. Le sujet se détache sur un fond de grotte, qui apporte des indices, mais est beaucoup moins graphique. La même focale (15 mm) a été utilisée, mais je suis moins près du sujet et les mains perdent en importance. A l’ultra grand angle, la proximité est très importante et change totalement le rapport entre les plans. Vous vous rappelez cette phrase de Robert Capa :  » si votre photo n’est pas assez bonne c’est que vous n’étiez pas assez près ». Avec les très courtes focales c’est souvent vrai !

L’image de référence

Vous trouverez encore des photographes – y compris chez les professionnels – qui vous diront que le cadrage est instinctif, qu’il faut avoir l’œil… Soyez sympas avec eux, ne leur demandez pas de préciser au juste ce qu’est donc ce fameux œil de photographe. En réalité, ce que l’on appelle créativité ou œil de photographe si vous voulez c’est la capacité de notre cerveau à relier des informations. Si vous avez beaucoup de culture visuelle, parce que vous allez aux expos, que vous regardez des livres de photographes, des BD, etc., alors vous serez capable de mettre des choses en perspectives inconsciemment.

En ce qui me concerne, ce sont des images comme celle ci-dessous qui m’ont donné l’idée d’utiliser un ultra grand-angle pour mettre en avant les mains de la rameuse de Van Long. Grâce à cette focale le premier plan devient prépondérant et souvent disproportionné. Si le photographe travaille bien et évite les déformations, c’est un outil redoutable. Ce travail d’écriture en fonction des objectifs est le thème principal de ma dernière formation qui se déroule sur 3 jours : Ecrire ses images.

© Thomas Hoepcker -1966 – Mohamad Ali

© Thomas Hoepcker – Mohamad Ali 1966
 

Conclusion

J’espère que l’analyse d’image de La rameuse de Van Long vous a plu. Vous pouvez retrouver d’autres photos passées à la loupe sur cette page.

En attendant le prochain article, je vous souhaite de faire de très belles images. N’hésitez pas à commenter, partage et donner votre ressenti.

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Philippe Body, votre photographe formateur

Philippe Body, votre photographe formateur

Philippe photographe de voyage professionnel a deux passions : la photographie et le voyage.  Après  … lire plus

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plusieurs séjours en Afrique, il se rend en Asie et c’est l’éblouissement. A la fin des années 80, il réalise ses premiers reportages en Inde, dont un sujet sur l’inaccessible ethnie Muria dans la province reculée du Chattisgarh et le gigantesque projet de barrage Narmada. Plusieurs publications s’ensuivent et ses premiers reportages sont diffusés par l’agence VU. En 1990, il est l’un des premiers photographes à revenir au Vietnam qui sort enfin de son isolement. Cinq ans plus tard, il entre à l’agence Hoa Qui, spécialisée dans la photo de voyage avant de rejoindre en 2007 la prestigieuse agence Hemis.fr. En 2010, il créé le site “www.avecunphotographe.fr” pour proposer ses propres stages et ceux de quelques photographes de grande qualité. Aujourd’hui son travail est diffusé par les agences Hemis.fr – Getty et AGE fotostock ainsi que sur son propre site professionnel www.philippebody.com

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