Le sens de lecture d’une photo , n’a que très peu à voir avec celui du texte. La façon dont le cerveau « lit » une image est infiniment plus subtile et complexe que cela. D’abord une lecture rapide, instantanée de la scène puis une autre plus complexe durant laquelle les éléments de l’image sont « décodés » analysés et reliés entre eux. Au travers des différents éléments qui « attirent » notre œil, ce sont les bases d’une Grammaire élémentaire de l’image qui se dessine et qui va nous permettre de mettre en place une hiérarchie des éléments visuels qui nous servira en composition.

Quel est le sens de lecture d’une photo ?

On lit souvent que le sens de lecture d’une photo est le même que pour le texte. De gauche à droite donc pour les personnes de culture latine par exemple ou de droite à gauche pour ceux écrivant en langue arabe. D’autres théories parlent de lecture en « Z » ou en « F » mais en réalité, le cerveau est surtout attiré par des choses bien spécifiques qu’il cherche à identifier dans la vie réelle comme dans une image.

Les enseignements de la Gestalt Theory ou Théorie de la formesens de lecture d'une photo - motif de Kaniza

Au début du XX siècle, une école de philosophie et psychologie allemande s’est penché sur la façon dont notre cerveau « regarde » et appréhende le monde. Ils démontrèrent que le cerveau ne lisait pas une image comme un texte, mais qu’il parcourait une scène ou une image en cherchant des choses précises. Les scientifiques parlent de vision constructive plutôt que passive. Les principaux enseignements à tirer de cette théorie, sont que le cerveau cherche à identifier des formes (humaines notamment), à relier des formes similaires, à en compléter certaines.  Dans l’image ci-contre – appelée triangle de Kaniza – c’est le cerveau qui « voit » un triangle là où il n’y a  en réalité que 3 « camemberts » ou « pacman »

Ce que voit l’œil humain

sens de lecture d'une photo

© Wynn Bullock – Chien dans une écorce – Identification

Pour simplifier (beaucoup) on pourrait dire que l’œil voit et le cerveau interprète (et parfois beaucoup plus). L’image reçu par le cerveau est inversée, en partie monochrome, pas si nette que cela et … bref elle est impubliable 😉 – ce qui est dû au fait que différentes zones de l’œil enregistrent différentes choses :

  • la zone très étroite de la Fovéa, grâce aux cônes perçoit les couleurs et la netteté
  • les bâtonnets situés en périphérie de la rétine permettent la vision nocturne, la détection des contrastes mais n’offrent qu’une image quasi floue et monochrome.

Pour compenser les faiblesses de la vision périphérique (en terme de netteté) les scientifiques ont découvert que l’œil saute très rapidement d’un point à un autre (d’un mot à l’autre lorsque vous lisez ce texte). Cela permet à notre cerveau de former ensuite une image apparaissant globalement nette. Ces micro-saccades sont responsables de l’essentiel de ce que nous voyons – selon le Pr Suzanna Martinez Conde. On voit donc que le sens de lecture d’une photo n’a rien de linéaire ni de routinier, notre œil se fixe en différents endroits très vite selon un ordre en grande partie dictée par le cerveau.

et ce que perçoit le cerveau

sens de lecture d'une photo - éclipse

Le cerveau commence par redresser l’image, puis se sert des couleurs perçues dans la zone de la Fovéa pour simuler celles non perçues. Il va ensuite donner l’impression de la netteté – notamment en périphérie alors que l’œil voit plutôt mal sur les côtés. Le cerveau compense aussi les diverses faiblesses de notre vue (reconstitution des scènes rapides, création de la perspective, etc). Voilà pour la partie technique, mais le cerveau ne fait pas que cela : son truc à lui c’est l’interprétation. De grands photographes comme William Klein – que nous étudions en détail dans notre stage Grammaire de l’Image – avaient fort bien compris les faiblesses de notre vision périphérique et se plaisaient à faire des images floues sur les bords avec un sujet net uniquement au centre, ce qui donnait à leurs photos un effet de réalité extraordinaire. Au contraire, une certaine esthétique de la photo numérique exagérément travaillée et retouchée, trop « clean », à tendance à rendre l’image artificielle ce qui est loin d’être le but recherché en reportage ou en street photography.

Lecture analogique et déductive

Après avoir regardé une scène ou une image de façon « globale » et quasi instantanée (lecture analogique ou immédiate), le cerveau va ensuite décoder les klaus-enrique-arcimboldo-2éléments présents les uns après les autres de façon analytique (lecture d’un texte) ou déductive (image). Le sens de lecture d’une photo est donc imposé par ces éléments que le cerveau cherche à identifier et décoder.

Ainsi le couple assis dans l’herbe ci-dessus est d’abord perçu de manière globale, avant d’être identifié comme regardant une éclipse, lorsque le cerveau a relié entre eux les différents accessoires (lunettes, trépied, jumelles) et leur a donné un sens. Cette partie est beaucoup plus influencée par la culture de la personne qui regarde la photo. Il est évident qu’une personne n’ayant jamais vu de telles lunettes auparavant ne fera pas le même raisonnement.

Pour les célèbres portraits du peintre Guiseppe Arimboldo, c’est le processus d’identification (comme pour le chien dans l’écorce) qui est à l’œuvre. On ne voit au tout début que des légumes, mais le cerveau a tôt fait d’identifier l’être humain qui s’y cache, comme il le ferait pour éventuel prédateur caché derrière un arbre.

Que regarde t-on en premier dans une image ?

Le cerveau cherche d’abord à identifier une autre forme humaine ou un être vivant et ce point est très important pour les photographes car il en dit long sur l’importance de l’être humain dans une image. Placer une personne à droite ou à gauche de votre composition et le sens de lecture d’une photo change instantanément. Cette façon de procéder n’a rien de culturelle. Dans un monde dangereux découvrir rapidement un prédateur (ou une proie) caché derrière un arbre est une une question de vie ou de mort.

sens de lecture d'une photo - netteté

Les autres éléments qui attirent l’œil

Comme nous le voyons dans notre stage sur la Grammaire de l’image, il y a des choses qui attirent le cerveau plus que d’autres et donc modifient le sens de lecture d’une photo :

  • une zone nette
  • une zone de haute lumière
  • certaines couleurs
  • une forme homogène
  • un texte écrit

ce ne sont là que quelques exemples, mais qui illustrent bien que le sens de lecture d’une photo est imposée par ces éléments visuels. S’ils sont tous à droite, vous commencerez … par la droite. Dans l’image ci-dessus, on ne commence pas notre lecture par la gauche mais par la droite car seul l’enfant est net.

Je reviendrai dans un autre article sur cette hiérarchie des éléments visuels, mais vous pouvez déjà utiliser 2 choses très importantes

La netteté

Une partie nette de l’image attire davantage qu’une partie floue. Du coup le sens de lecture d’une photo et son interprétation en sont modifiées – comme le montre l’exemple ci-dessous

sens de lecture d'une photo - netteté

C’est une façon très simple et rapide de hiérarchiser les éléments lorsque vous composez votre image. Ce n’est pas la seule loin de là, mais c’est l’une des plus efficaces et vous comprenez maintenant pourquoi.

Utiliser un être vivant pour fixer et diriger l’attention

Le cerveau cherche à identifier un être vivant de façon très active. Nous avons tous un jour reconnu une forme d’animal dans un nuage ou vu un chien dans un tronc d’arbre comme dans cette célèbre photo de Wynn Bullock ou les visages cachés dans les tableaux de Guiseppe Arcimboldo. Puisque nous sommes sûr de l’impact d’un être vivant dans une composition, nous pouvons l’utiliser pour diriger le regard et maitriser le sens de lecture d’une photo. Ci-dessous les êtres humains sont placés à droite alors que le sujet principal est situé à gauche. Le regard se porte d’abord sur la droite avant de se diriger vers le sujet car la ligne de regard nous y emmène. Du coup le sens de lecture est respecté > ce sont des hommes capturant des animaux

sens de lecture d'une photo - effet réel

Attention aux êtres vivants dans votre composition

A contrario, un être humain ou un être vivant peut gâcher votre composition en attirant plus le regard que le sujet. Si le sujet est un paysage, alors attention à ce que la présence d’un être humain, gardez les de petite taille pour qu’ils ne volent pas la vedette à votre vrai sujet. Dans l’image ci-dessous, le sujet est bien la terrasse du palais royal à Angkor. Les cyclistes ne sont là qu’à titre décoratif (et pour donner une échelle). Une vitesse lente a permis de les rendre un peu flous et donc de faire en sorte que le regard s’y attarde moins. Le sens de lecture d’une photo peut donc se contrôler presque totalement.

Sens-de-lecture-photo-10

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Pour ceux que cela intéresse, ces notions sont abordées dans notre stage photo Apprendre la Grammaire de l’Image pour la partie théroique et dans le stage Apprendre à cadrer avec sa tête pour la partie pratique

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