Saul Leiter - photographe coloriste Saul Leiter : « Une des choses que m’a permise la photographie, c’est d’apprendre à regarder ».

Saul Leiter – le  photographe de l’inattendu.

Il a photographié les rencontres fortuites et l’inattendu.

Saul Leiter était un photographe américain né en 1923 à Pittsburgh, en Pennsylvanie. Il est surtout connu pour son travail dans la photographie de rue et de mode, caractérisé par son utilisation audacieuse de la couleur et ses compositions uniques en leur genre.

Saul Leiter a commencé sa carrière en tant que peintre – ce qui se retrouve dans ses compositions – mais s’est tourné vers la photographie dans les années 1940, sous les conseils d’amis photographes dont W. Eugène Smith. Il fait alors du noir et blanc, mais va passer progressivement à la couleur dans les années 50. À cette époque, seul le noir et blanc est considéré comme « artistique » et digne d’être exposé. La couleur n’aura ses lettres de noblesse qu’à partir de 1970 (et en partie grâce à son œuvre). C’est donc un acte courageux, mais comme il s’en expliquera souvent dans ses interviews, il n’a jamais cherché à être célèbre, préférant les plaisirs simples (boire un café, regarder de l’art et lire des livres …) et l’anonymat.

Saul Leiter - noir et blanc

Dans l’image ci-dessus, on voit comment Saul Leiter s’amuse à mélanger les plans, en nous faisant au passage perdre nos repères, pour que l’on finisse par apprécier l’image pour ce qu’elle est, un moment furtif de poésie brute. Comme il dit : la photographie c’est trouver des choses !

Le style de Saul Leiter influencé par ses peintures

Son style unique et novateur a influencé de nombreux photographes contemporains, et il est souvent considéré comme l’un des pionniers de la photographie en couleurs. Leiter a capturé la vie quotidienne des rues de New York. Ses images sont souvent floues, offrant une perspective intime et poétique sur le monde qui l’entoure.

« Quand je regarde certaines choses, je les trouve jolies ou intéressantes ou belles et je prends des photos, parfois elles sont bonnes, parfois moins… » Saul Leiter

saul leiter - vue d'un taxi à New York

Il travaille beaucoup avec les plans qui lui servent à créer un chemin dans ses images comme dans celle ci-dessus.

Il pratique la technique de confusion des plans, photographiant des reflets dans des vitrines comme dans la première photo noir et blanc de cet article, ou la rue depuis l’intérieur d’un magasin à travers la vitrine. Comme lorsqu’il y a de la buée et des coulures d’eau. Cela lui donne des couleurs froides et souvent saturées par une légère sous-exposition, technique très courante à l’époque des diapositives.

saul leiter à travers les vitreines

Il a aussi un faible pour les personnages en mouvement rendus transparents par le flou, comme son contemporain et autre précurseur de la couleur Ernst Haas.

Saul Leiter ou l’art de créer de la profondeur

Il prend ses sujets à travers des cadres très divers, flous la plupart du temps et occupant une place très  importante. C’est typique de son travail. Ce que l’on nommera par la suite – au cinéma notamment – un premier plan encombré. Saul Leiter ne s’approche jamais de ses sujets, il photographie de loin, et lorsqu’il inclut quelque chose de près, c’est généralement flou. Le focus est souvent fait sur le second plan, après une grande zone floue, obligeant le lecteur à voyager dans la profondeur de l’image.

saul leiter

Le sujet c’est … l’ambiance

C’est un photographe d’ambiance, mu par son instinct, il cherche un rendu, une atmosphère. Il photographie des zones d’ombres et de couleurs d’où émergent des personnages. Il est difficile de savoir ce que le photographe avait en tête. Il place souvent tout ce qui est figuratif dans une seule moitié de l’image. Les personnages ne sont pas nécessairement ce qu’il y a de plus important. C’est difficile à « lire » ou à expliquer parfois, mais facile à aimer.

Avec la couleur qui s’impose petit à petit dans son travail, il crée des juxtapositions d’objets ou de taches de couleurs qui créent un nouveau chemin dans ses images… C’est ce qui lui vaudra le qualificatif de coloriste à ses débuts, comme Ernst Haas, Helen Lewitt ou Marco Fontana. On le rapproche du mouvement appelé New York shool of photography – qui rassemble de grands noms de la photo parmi lesquels William Klein, Robert Franck qui fut son ami.

saul leiter new york

En réalité, son style est unique. Il cherche l’accident poétique – pour reprendre le terme d’Agnès Sire* qui le fera découvrir au public français lors d’une exposition en 2008. Dans l’image ci-dessus, on retrouve tout ce qui fait son style : construction de l’image par plans; mélangés. La partie la plus nette, n’est pas la plus proche, mais le second personnage au centre de profil. Des lignes verticales – qui divisent l’image – et nous renvoient d’un bord à l’autre de l’image, des couleurs fortes sans être artificielles. A chacun de se faire une histoire, de s’approprier l’image. Le photographe s’est contenté de capturer une fraction de seconde plaisante, jolie, belle, intéressante…

Photographe de rue et de mode

Toute sa vie, ila photographié New York, souvent le même quartier, brossant le portrait, vibrant, varié et puissamment évocateur de sa ville d’adoption. C’est un travail sans but clairement défini

Saul Leiter, n’aime pas expliquer son travail, il souhaite rester libre et laisser le lecteur s’approprier ses images, les voir comme il veut. Beaucoup de ses compositions vont à l’encontre des règles considérées – à tort la plupart du temps – comme de base en photographie. Ce qui libèrera beaucoup de photographes qui comprendront qu’il n’y a pas de règles, il n’y a que des bonnes ou des mauvaises photos.

Pour vivre, il travaille pour des magazines de mode comme Harper’s Bazaar ou Vogue. Son travail pour Harper’s Bazaar est très moderne, il utilise beaucoup le flou, photographie les modèles dans la rue, comme ci-dessous. Ce qui est extrêmement osé et courageux. Les photographes de mode de l’époque préférant rester dans leur studio où ils contrôlent tout et ne risquent rien. Saul leiter, au contraire sait que le risque c’est l’inattendu, la poésie, et c’est ce qu’il cherche. Il place ses modèles dans des cadres étonnants, joue sur la juxtaposition des textures et des couleurs avec l’environnement de la ville.

Dans l’image ci-dessous, il fait le point sur le fond plutôt que sur le modèle, ce que très peu de personne oseraient faire de nos jours. Saul Leiter ne s’interdit rien, ne semble suivre aucune règle, pourtant ça fonctionne et même très bien.

saul leiter

Mais comment fait-il ?

Dans mes formations, j’encourage toujours les participants à acheter des livres et aller voir des expositions de grands photographes pour le plaisir bien sûr, mais aussi pour étudier leur faon de faire. C’est important car les critiques d’art n’en parlent généralement pas. Ici, nous allons voir comment travaillait Saul Leiter. Il commence en noir et blanc, puis passe à la couleur, comme nombre de photographes de son époque. Le film couleur dans les années 50, c’est cher et catalogué commercial. Pas le choix le plus évident pour un artiste. oui, mais Leiter vient de la peinture et il n’a aucun préjugé contre la couleur qu’il va adopter, pour ses photos de rue tout en continuant à travailler en noir et blanc pour ses photos de us par exemple.

Côté appareil, dans certains de ses autoportraits, il a un rolleiflex autour du cou, un nikkormat, un leica et un lumix. Autrement dit, il s’en fiche un peu, l’appareil est un outil. Ses photos de rue sont souvent faites au Leica qui est – à l’époque – un des meilleurs boitiers pour ce genre d’exercice puisque ne faisant pas de bruit à la différence des reflex. Son viseur télémétrique permet aussi d’anticiper la scène et d’avoir un petit temps d’avance. Saul Leiter ne s’embrasse pas de règles. Venant de la peinture, il sait que ce n’est pas le respect de règles ou de bons conseils qui fait une image.

Un rapport à la netteté unique

Dans l’image de mode ci-dessus, le sujet – la femme au chapeau – est flou. Ce qui est vraiment osé. L’oeil va donc chercher une zone nette, qui se trouve juste derrière, avec d’ailleurs une autre image de femme en bas à droite.  Puis l’oeil revient au visage et à ses couleurs claires et vives et repart vers la partie nette et revient. Ce qui électrise littéralement la photo.  Novateur, risqué et très bien maitrisé !

On remarque qu’il ne s’approche jamais beaucoup de son sujet. Je dirai qu’il travaillait au 35 ou au 50 mm. Pas de long télé non plus. Comme un coloriste, il est sensible à la répartition des couleurs dans l’image qui crée un chemin de lecture. Il aime aussi les aplats, comme dans la peinture et c’est peut être pour cela qu’il a si souvent recours aux larges plages de flous. Celui-ci est une marque de fabrique dans son travail. Aucune image de rue ou presque n’est piquée. Ce n(est bien entendu pas un problème de matériel ou de technique à ce niveau, mais un vrai choix artistique – et qui dénote dur avec l’air du temps … Pour Saul leiter, trop de netteté, c’est trop de précision, c’est la dureté, la fermeté. Le flou, c’est l’imaginaire, la douceur, la fugacité. Une belle leçon à l’époque où les vendeurs et fabricants ne jurent que par l’ultra net au point que plus personne ne semble se demander si une photo doit ou pas être net et ce que cela apporte.

Pour moi c’est ce qui détermine son style : la nonchalance, la décontraction, le choix de sujets sans importance apparente. Son travail en couleur peut être rapproché de celui de Ernst Haas ou de Harry Gryuaert par exemple, mais son rapport à la netteté est unique.

Le roi des plans

Son travail sur les plans est aussi sa marque de fabrique. Confusion des plans, plans flous extrêmes devant et derrière le sujet, premier plan encombré, son écriture photographique est d’une grande modernité. Il multiplie aussi les prises de vues « à travers de » une porte, une vitrine, un balcon, une barrière, une voiture. Nous obligeant sans cesse à louvoyer, éviter et nous déplacer dans son image. Sans jamais avoir l’air de s’intéresser à l’endroit où il fait le point, il nous balade dans son image exactement comme il l’entend. Tout ce travail donne à ses photos ont une incroyable profondeur.

dans l’image ci-dessous, l’une des rares à être impeccablement nette, il s’amuse avec la hiérarchie des éléments visuels et des plans. L’œil va naturellement sur la seule personne humaine dans la photo, mais dont on ne voit pas les yeux. Et le texte est immense, mais lacé très haut, on revient sur l’affiche du bar, on lit les autres textes, on revient sur les rouges et on refait un tour. C’est brillamment composé et très puissant. les ombres noires créent un cadre dans le cadre qui guide notre regard vers les zones claires de l’image. Il y a tellement de choses qui nous attirent dans cette image que cela donne le tournis. Finalement, le rouge est le vrai patron de l’image. Et la preuve que l’on ne peut jamais enfermer les grands photographes dans un stye…

earli colors new york

Au revoir l’artiste

Saul Leiter est décédé, il y a un peu plus de 10 ans à l’âge de 89 ans, laissant derrière lui un héritage important dans le monde de la photographie. Ses œuvres sont exposées dans des musées du monde entier et continuent d’influencer de nombreux artistes contemporains. Son travail n’a été reconnu que tardivement, au milieu des années 90 et surtout à la suite de la publication de « Early colors ». en 2006.

Publications de Saul leiter

All about Saul Leiter – 35€ – : un excellent choix de photos de rue, de mode, et autres. Fnac
Saul Leiter – Photo poche 13,90€ en mode petit budget
Saul Leiter Rétrospective – 69€ à la Fnac – le choix des images est plus discutable et le prix exagéré
Saul Leiter east 10th street – un livre de nus en noir et blanc publié après sa mort – très touchant et très sensuel – Fnac

Retrouvez le travail de Saul Leiter sur le site de la Fondation Saul Leiter où vous pouvez également commander des livres et autres produits

Liste expos récente

1. In My Room: Photographs by Saul Leiter – Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris (2021)
2. Saul Leiter: Retrospektive – Albertina Museum, Vienna (2019)
3. Saul Leiter: Visionary Colour Photographer – Photographers’ Gallery, London (2016)
4. In No Great Hurry: 13 Lessons in Life with Saul Leiter – Media Space, London (2015)
5. Saul Leiter: Early Color – The Jewish Museum, New York (2006)

Abonnez vous à ce blog

Saisissez votre adresse e-mail pour vous abonner à ce blog et recevoir un message lorsqu'un nouvel article est publié

Rejoignez les 3 130 autres abonnés
Philippe Body, votre photographe formateur

Philippe Body, votre photographe formateur

Philippe photographe de voyage professionnel a deux passions : la photographie et le voyage.  Après  … lire plus

plus ...

plusieurs séjours en Afrique, il se rend en Asie et c’est l’éblouissement. A la fin des années 80, il réalise ses premiers reportages en Inde, dont un sujet sur l’inaccessible ethnie Muria dans la province reculée du Chattisgarh et le gigantesque projet de barrage Narmada. Plusieurs publications s’ensuivent et ses premiers reportages sont diffusés par l’agence VU. En 1990, il est l’un des premiers photographes à revenir au Vietnam qui sort enfin de son isolement. Cinq ans plus tard, il entre à l’agence Hoa Qui, spécialisée dans la photo de voyage avant de rejoindre en 2007 la prestigieuse agence Hemis.fr. En 2010, il créé le site “www.avecunphotographe.fr” pour proposer ses propres stages et ceux de quelques photographes de grande qualité. Aujourd’hui son travail est diffusé par les agences Hemis.fr – Getty et AGE fotostock ainsi que sur son propre site professionnel www.philippebody.com

Pin It on Pinterest

Share This

Vous avez aimé cet article ?

Partagez le sur vos réseaux préférés