Le portrait dans tous ses états – Petite histoire du portrait photographique 
Le portrait photographique est le genre le plus pratiqué dans le monde. Chaque jour, des centaines de millions de portraits – des selfies pour la plupart – sont publiés sur les réseaux sociaux. Plus d’images en une seule journée que vous ne sauriez regarder, même en y passant votre vie entière. Une avalanche de clichés pas forcément intéressants alors même que le portrait reste un genre majeur, qui se caractérise par une composition simple, mais une exécution souvent délicate. A l’occasion de notre exposition – Le portrait dans tous ses états – cet été à Chambray-lès-Tours – voici une petite histoire du portrait photographique et des nombreuses déclinaisons. En fin d’article, une invitation au vernissage vous attend.
Définition du mot portrait
Le mot « portrait » désigne une représentation d’une personne, généralement, mais pas toujours, de son visage, réalisée par dessin, peinture, photographie ou sculpture. Elle vise à capturer l’apparence physique et parfois le caractère de la personne. Merci wiki. Bref, le portrait représente une personne particulière. C’est dans ce sens qu’une photo d’une personne entière dans son environnement peut être considérée comme un portrait, dès lors que ce décor apporte des informations sur la personnalité du sujet. On parle alors de portrait informel ou de portrait d’ambiance. Une image d’une personne, en train de travailler et dont on ne voit pas le visage, ce n’est pas un portrait, mais une scène de vie – comme ci-dessous..
Naissance du portrait photographique
Le portrait photographique débarque au début du 19ème siècle, avec la naissance de la photographie. Il succède au portrait peint, qui connait depuis le XVème siècle un engouement considérable. Se faire représenter par un peintre représentait cependant un investissement émotionnel et financier important ce qui limitait son usage principalement à l’aristocratie. En 1839, Daguerre réalise le portrait de Robert Cornelius. Le procédé est complexe, couteux et très technique ce qui limite encore sa diffusion.
Ne bougez plus – le portrait « solennel »
Les premiers daguerréotypes étaient des chefs-d’œuvre de patience et de technique, où les sujets devaient demeurer immobiles pendant de longues minutes. Inévitablement, leurs expressions étaient figées, les regards dans le vide. C’est compliqué d’avoir l’air souriant pendant d’interminables minutes. Les parents se cachaient derrière des draps et des tentures pour maintenir discrètement leurs enfants.
L’expression familière « ne bougez plus » nous vient directement de ces débuts … difficiles. Et elle est encore en vigueur dans nombre de pays où le simple fait de viser quelqu’un avec un appareil photo a pour effet de « figer » immédiatement le modèle.

© Louis Jacques Mande Daguerre
La révolution du collodion humide
Quelques années plus tard, la technique du Collodion humide qui permettait de réaliser des tirages papier va populariser le genre du portrait, auprès de la bourgeoisie d’abord puis de toute la population. Même si le temps de pose a considérablement diminué, les portraits restent figés ce qui leur donne un côté solennel que l’on va retrouver encore aujourd’hui dans le portrait photographique « officiel ».
A l’assaut du grand public
Devant l’engouement du portrait photographique, des photographes sillonnent la France avec leur studio mobile. Le photographe et auteur Jean-Baptiste Rabouan raconte très bien cette épopée dans son roman « Ils étaient photographes« .
Les pictorialistes
Avec l’arrivée de l’éclairage artificiel et des surfaces toujours plus sensibles, le portrait photographique se développe très rapidement. Tout le monde veut se faire tirer le portrait. Le mouvement pictorialiste (1890-1920) – dont j’ai déjà parlé dans l’article sur E. Weston – introduit une dimension poétique, transformant les photographies en véritables tableaux émotionnels.

© Robert Demachy
Le portrait photographique sort du studio
Les progrès technologiques s’accélèrent et la rapidité des surfaces sensibles permet bientôt aux photographes de sortir du studio. Le portrait « documentaire » va de suite se développer. Edward S. Curtis va sillonner l’Ouest américain pour immortaliser les visages des peuples autochtones, menacés de disparition. Le travail de mémoire commence. Les portraits sont toujours un peu figés, mais irradient de vie et leur valeur en tant que témoignage historique devient inestimable. Comme ce portrait d’un chef sur son cheval, montré dans son cadre de vie traditionnel.

© Edward S. Curtis
La vérité sinon rien
Cette fois, on ne cherche plus à embellir ou à ressembler à la peinture, mais à retranscrire la réalité aussi fidèlement que possible. Avec le développement des plaques de verre sèches et surtout de l’arrivée du film en celluloïd, autrement dit nos bonnes vieilles pellicules argentiques, la photographie se popularise et tout un chacun peut désormais se tirer le portrait sans passer par un photographe de studio.
Kodak et la révolution de la pellicule souple
En fabriquant des appareils bon marché, simples à utiliser, la société Kodak va donner des ailes à la photographie comme dirait la publicité Redbull. Tout le monde peut désormais immortaliser les grands moments de sa vie. Le portrait photographique devient le genre le plus répandu. Portrait des enfants, portrait de famille, du chien, du chat, à la maison, en vacances. Voici l’avènement de ce que l’on appelle dorénavant la photovernaculaire. Un mot compliqué pour dire photo populaire dont je vous parlerai dans un prochain article. Ci-dessous une photo extraite de l’Anonymous Project, collection de milliers de diapositives Kodachrome réalisées en 1930 et 1980 envoyée par des amateurs.

© The Anonymous project
Le portrait photographique contemporain
Au début du 20ème siècle, tirer le portrait du client reste la principale activité des photographes professionnels. La plupart des grands noms de la photographie du siècle dernier ont démarré en ouvrant leur propre studio. Maitrisant l’éclairage artificiel, la technique et la psychologie le photographe professionnel fait encore des portraits des grands moments de la vie. Mariage, naissance d’un enfant. En Asie, il réalise aussi le « dernier portrait » celui qui sera placé sur l’autel des ancêtres et dans de nombreux pays la remise du diplôme. Ce sont les portraits officiels.
De multiples genres de portraits
Dans notre projet d’exposition, le portrait dans tous ses états, nous voulions explorer et revisiter les grands classiques de ce genre photographique. Et en proposer d’autres aussi. En voici quelques-uns.
Le portrait posé
Hérité des débuts difficiles du portrait en studio et du fameux « ne bougez plus », c’est un genre à part entière. Dans de nombreux pays, on prend la pose dès lors qu’un appareil est braqué sur soi. Aujourd’hui, les enfants et adolescents du monde entier adoptent des poses convenues qu’ils ont enregistrées dans les vidéos des réseaux sociaux. Le photographe malien Malick Sidibé a immortalisé des générations de jeunes venus poser dans son studio de Bamako. Ses portraits sont d’une grande simplicité avec une étonnante économie de moyens qui laisse la part belle au sujet

© Malick Sidibé
Le portrait volé
Pour éviter le portrait posé, il est tentant de photographier quelqu’un à son insu. Pratiqué avec un téléobjectif le plus souvent, ce style de portrait montre la personne dans une expression naturelle.
Le portrait de groupe de famille
Le portrait de groupe est une vraie spécialité avec des contraintes particulières selon la taille des groupes. La photographe Giorgia Fiorio excelle dans cette catégorie avec ses images de groupes de communautés d’hommes notamment.
Toujours réalisés en ambiance, dans leur cadre naturel, ces portraits sont saisissants. Ci-dessous, au plus près de son sujet la photographe reste « invisible » captant la rêverie nostalgique de cet élève marin qui contraste avec l’attitude détendue des autres personnes au fond.

© Giogia Fiorio – 1994 – Académie navale de Saint Petersbourg
Le portrait intime
Parfois les photographes sont des proches ou suivent depuis suffisamment longtemps leurs sujets pour que l’on ne fasse plus attention à eux. Ils peuvent alors réaliser des portraits intimes. C’est un genre majeur, qui demande une implication totale du photographe. Lorsque l’autre vous laisse pénétrer son intimité, c’est toujours un moment d’exception. Il n’y a pas de recette, il faut du temps, de la sincérité et donc de l’envie. Photographiquement, ce genre privilégie la proximité « physique » avec le sujet. Grand angle ou petit télé, le photographe est proche, au propre comme au figuré.
Nan Golding ou Mary Ellen Mark – dont j’ai déjà présenté le travail – sont 2 des plus grandes figures de ce genre.

© Nan Golding – Femme de chambre sur sa chaise – 1972 – Boston
Le portrait d’ambiance, informel ou plan large
Il s’agit de prendre son sujet dans son environnement familial ou professionnel. On utilise pour cela un grand angulaire. Le fond raconte une histoire complémentaire. Il interagit avec le sujet, donne des informations supplémentaires, un contexte et enrichit l’image. C’est un genre aussi vieux que la photo elle-même, mais moins répandu chez les amateurs que les professionnels. Il demande à s’approcher très près du sujet, ce qui suppose bien évidemment un contact préalable. Parmi les représentants les plus connus de ce style, on trouve Platon Antoniou et Martin Schoeller. Le portrait d’Al Pacino, ci-dessous est signé de Platon. Réalisé à l’ultragrand angle pour mettre en avant la main et la bague de l’acteur, il est pourtant exempt de toute déformation. Un savant dosage pour un portrait qui crève l’écran (et les codes du genre).

© Platon Antoniou Platon) – Portrait de Al Pacino
Le portrait photographique « séquence »
Entrez dans une cabine de photos d’identité et prenez successivement 4 poses différentes. Vous venez de faire un portrait séquence. La succession des vues montre différentes facettes du sujet, s’enrichissant des autres clichés. Un genre popularisé entre autres par Elliot Erwit.
Portrait en abyme
Lorsque j’ai commencé à accompagner des voyages photo, ce qui m’intéressait le plus était l’idée de pouvoir revenir plusieurs fois au même endroit et de pouvoir ainsi rapporter aux personnes photographiées un tirage papier. J’ai commencé à distribuer des images aux gens dans un petit village cambodgien où nous séjournons une nuit. Les gens ont évidemment apprécié ce geste et viennent désormais se faire photographier avec plaisir. De preneur d’images, je suis devenu donneur d’images. J’en ai profité pour faire des images d’eux tenant leur tirage à la main. Une mise en abyme qui nous fait voyager dans le temps et qui ouvre de nombreuses possibilités. Ci-dessous, après 4 ans d’absence suite à la crise du covid, une jeune fille de ce village que je n’avais pas reconnue, me montre la dernière photo d’elle que lui avait donnée.
Portrait de détail
On a souvent peur de couper une partie du visage. C’est même chez beaucoup de photographes amateurs une véritable ligne rouge. Pourtant, couper une partie du corps ou du visage – comme on le voit dans le stage ou le livre Grammaire de l’image – n’est absolument pas un problème. Cela permet de pointer l’attention sur une partie du corps, souvent les yeux, et de proposer un point de vue différent. On s’approche toujours en effet d’une personne à une distance convenue, qui permet au modèle de « respirer » ou autrement dit de ne pas se sentir stressé. Un téléobjectif un peu plus long que le conventionnel 85 ou 100 mm permet de faire un détail sans gêner le modèle et ainsi de révéler un détail « plus grand que nature ».
Portrait de minorité
C’est l’image retenue par les organisateurs de l’exposition pour leur affiche. Un portrait d’une jeune femme H’mong au regard farouche. A travers l’attitude, le regard, les vêtements, les ornements et les bijoux, le modèle exprime son identité, son appartenance à un groupe, une époque, sa position sociale. Des populations autochtones d’Amérique d’Edward Curtis aux papous de Malcom Kirk, c’est un genre photographique marqué par le respect du photographe pour l’identité du sujet.

© Malcom Kirk (Série Man as Art
Le selfie – entre culte de soi et mémoire parallèle
Les smartphones, les réseaux sociaux ont démocratisé la création d’images, transformant chaque individu en potentiel portraitiste. Le selfie est devenu le genre photographique le plus pratiqué au monde – et de très très loin. Plus qu’une célébration de soi ou un culte de l’égo, il est une extension de notre mémoire. Si on ne prend pas une photo de ce que l’on est en train de faire, comment s’en rappellera t-on plus tard ?
Il tire son origine de la culture kawaï japonaise, dans laquelle il importe – surtout pour les femmes – d’embellir sa représentation photographique. Un mouvement qui débuta dans les années 90. Capté par le photographe Hiromix ce phénomène a conquis l’Asie avant de s’exporter dans le reste du monde.
Paradoxalement, cette démocratisation a amplifié la valeur des portraits authentiques. Plus que jamais, les photographes recherchent la profondeur émotionnelle, la connexion humaine au-delà des filtres et des retouches instantanées.

© Hiromix – Girls Blue
Portraits contemporains – La diversité des regards
La photographie contemporaine explose les frontières traditionnelles du portrait. Les artistes contemporains comme Cindy Sherman ou Yannis Davis Guibinga réinventent le genre, brouillant les lignes entre réalité et mise en scène, identité personnelle et construction artistique. Le photographe de mode Arnaud Ele a pas mal dépoussiéré le genre également. Impossible de citer les trop nombreux talents actuels malheureusement. Ma préférée est l’artiste Ukrainienne Olha Stephanian qui a une vraie vision très personnelle proche du cinéma et qui flirte avec délice avec le surréalisme.

© Olha Stephanian – Look at me – 2020
Conclusion
Le portrait photographique reste un art vivant, en constante mutation. Il continue de nous raconter, de nous révéler, de capturer l’essence éphémère de notre humanité. Il se pratique aussi bien avec des optiques spécialisées (85 à 135 mm) qu’avec un grand ou un ultra grand-angle, en studio ou dehors. C’est un genre d’une richesse sans cesse renouvelé. A vos boitiers !
Exposition – Le portrait dans tous ses états
Si le cœur vous en dit et si vous êtes dans la région bien sûr, nous avons le plaisir de vous inviter au vernissage de notre exposition – sur le thème du portrait justement. Ce sera l’occasion de se rencontrer en vrai !
Nathalie et Philippe Body – Photos et collages – A la médiathèque de Chambray-lès-Tours – 3 Place de Voru, 37170 Chambray-lès-Tours – Tel 02 47 38 17 41 – du 21 juin au 31 aout 2025. Vous pourrez nous rencontrer au vernissage le 20 juin à 18h30 – ouvert à tous. Au plaisir de vous rencontrer.
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Philippe Body, votre photographe formateur
Philippe photographe de voyage professionnel a deux passions : la photographie et le voyage. Après … lire plus
Excellent (comm d’hab 🙂 )
J’ai modestement exposé dans mon village ce week end et mis en avant 4 portraits TRES souriants pris au Cambodge pendant le voyage avec toi. Très appréciés, surtout en ces temps pas toujours si souriants. Amusant : la question qui est le plus revenue : quid du droit à l’image ? quand bien même c’est évident que ce ne sont pas des photos volées. Compliqué…
Bonjour Florence, oui un débat étonnant surtout quand on voit la multiplication des posts de photos privées. Les français et le « droit à l’image » ça devient une histoire compliquée. Bonne exp
Bonjour Philippe
Toujours variés et intéressants tes articles.
Celui-ci pourra être mis en pratique en septembre dans ton studio éphémère.
Je m’en réjouis
A bientôt et merci
Clotilde
Merci pour ces précisions sur la diversité des méthodes
Merci Yves d’avoir commenté
Bonjour Philippe et Nathalie
Merci pour ce superbe article qui met en appétit pour votre exposition. Il met bien en perspective l’histoire et la diversité du portrait, et plusieurs illustrations rappellent la démarche documentaire de la fondation -musée Albert KHAN de Boulogne.
Il fait en outre écho à une réflexion artistique en cours sur Mosaïque et collages.
Bravo
Joël
Merci Joël, de quelle réflexion sur mosaIque et collages tu parles ? Dans ton club ? Philippe
Merci pour cette synthèse complète et bien illustrée !
Merci