La technique du hors champ en photographie est l’une des plus subtiles et créatives qui soit. Elle a un très grand pouvoir narratif et amène les personnes qui regardent l’image à se projeter au-delà du cadre dans une lecture imaginaire.
Le hors champ au cinéma
A l’écran, vous voyez un homme dans le salon en train de regarder la télévision. Vous entendez le bruit d’une porte qui s’ouvre et se referme et l’homme tourne la tête dans cette direction. Celui ou celle qui viennent d’entrer (vous ne savez pas encore qui c’est) ne sont pas dans le champ de votre vision, mais il ou elle sont bien là, dans l’histoire, hors champ, mais bien réels. Vous commencez à l’imaginer, peut-être sa femme, son enfant, un ami. Si durant le plan précédent, vous aviez entrevu, montant dans l’escalier, l’ombre d’une arme ou d’une hache, vous seriez déjà en train d’angoisser pour la malheureuse future victime…
Le hors champ en photographie
Le hors champ est souvent associé – à tort – au cinéma, alors qu’en réalité, il est commun à tous les arts visuels, peinture et photographie incluses. Mais commençons par une petite définition.
Hors champ – Définition
Le hors champ en photographie c’est tout ce qui n’est pas représenté dans le cadre de l’image tout en étant pourtant présent. Par exemple quelqu’un que l’on ne voit pas dans l’image, mais que l’on peut s’imaginer, parce que l’on voit son ombre, un bout de son bras ou qu’une personne – présente dans la composition – regarde vers lui. Ou encore, quelque chose qui n’est pas dans l’image, mais dont – vu le contexte on peut supposer, se figurer sa présence. C’est pas clair ? Vite un exemple.
Dans l’image ci-dessus, ce que ce jeune couple regarde est hors champ et l’on ne le voit donc pas. On ne peut que se le figurer. Le cerveau adore ce genre d’énigme, pour peu qu’il y ait quelques indices visuels pour le mettre sur la piste. Ici, ce sont les lunettes spéciales pour les éclipses qui permettent de comprendre la scène (entre autres). L’éclipse que l’on ne voit pas est d’ailleurs aussi importante en tant que sujet que le couple qui la regarde. On appelle cette technique dont j’ai parlé dans la Grammaire de l’image, la projection.
Hors champ ou hors cadre ?
Pour faire simple, le cadre c’est la toute petite fenêtre délimitée par votre viseur. Si vous cadrez une image avec 50% de ciel et 50% de mer, il y aura une partie du ciel et de la mer visible à l’œil qui ne sera pas dans le cadre. Un espace en 2 dimensions. Et celui ou celle qui regarde votre image n’a aucune possibilité de savoir ou d’imaginer ce qu’il y avait en dehors du cadre de votre image.
Cadrer c’est choisir et couper. Couper ce qui ne vous intéresse pas, ne vous semble pas beau ou pertinent. Une photographie résulte donc toujours d’un choix de cadrage de la part du photographe. Dans l’image ci-dessous, il est impossible de savoir ce qu’il y avait autour du cadre de l’image. Y a t-il d’autres bateliers ? Combien d’étages ont les maisons derrière ? Rien ne permet de le savoir.
Cette version non recadrée dévoile (une petite partie) de ce que le photographe a coupé. Toute la partie grisée sera à jamais invisible aux yeux des spectateurs. C’est hors cadre.
Le hors champ c’est ce qui est présent d’une manière ou d’une autre alors qu’il n’est pas montré … Par exemple, dans la photo ci-dessous, on ne voit pas la montgolfière, mais on est certain de sa présence grâce à son ombre portée. Elle est donc hors champ : pas dans le cadre et pourtant bien présente dans l’image. On a l’impression qu’elle va arriver, à la suite de son ombre…
Quel est l’intérêt du hors champ en photographie ?
Tout comme au cinéma, la technique du hors champ en photographie permet d’agrandir le cadre de votre photographie, en forçant le spectateur à imaginer un personnage en dehors du cadre ou l’objet regardé par le sujet dans la photo. Il ajoute aussi un côté narratif à l’image, du mystère et de l’ambiguïté, bref il relève la sauce. Le hors champ raconte ou plutôt suggère une histoire.
Dans l’image ci-dessous, il n’y a pas de hors champ. Le pilote du scooter marin regarde dans la direction où il va. Pas de mystère, une image simple.
Dans la photo suivante, le pilote regarde cette fois quelque chose qui est derrière lui et que l’on ne voit pas. Mais comme nous sommes doués d’attention conjointe*, nous suivons son regard. Sauf que celui-ci nous emmène jusqu’au bord droit de la photo sans rien nous révéler. Nous cherchons alors des indices et voyons le câble derrière le scooter. Il tire donc quelque chose ou quelqu’un… A vous de décider, s’il s’agit d’un touriste faisant du ski nautique, une banane, etc.,
Au passage, vous aurez remarqué que le sens de lecture de l’image a totalement changé.
Quelques exemples de techniques de hors champ
Bon, vous avez envie d’essayer, alors voici quelques techniques faciles à utiliser pour créer vos premières compositions intégrant le hors champ en photographie.
1 – Couper
En apparence très simple, puisqu’il consiste à couper une partie du sujet en sachant (Grammaire de l’image) que le spectateur complètera automatiquement les parties manquantes. On peut donc couper un membre d’une personne, un objet, etc.
Il faut quand même à chaque fois que l’on peut se faire une idée de ce qui se passe hors champ. Comme dans l’image ci-dessous. L’outil tenu par le saunier (un las) est coupé, mais si l’on a déjà vu ce genre de scène on peut facilement se le figurer.
Dans cet autre exemple, le personnage qui lance la pastèque est carrément coupé, ce qui au passage permet de conserver le contrôle de son cadrage. Il va de soi que la pastèque n’est pas lancée toute seule, à vous d’imaginer le ou la lanceuse de l’autre côté.
2 – Ombre portée
Comme sur la photo précédente avec la montgolfière. Pour le cerveau, s’il y a une ombre, il y a un sujet et il cherche alors à se figurer l’endroit où il est. Il va utiliser les indices visuels à sa disposition pour tenter de trouver la réponse. Dans la photo de la montgolfière pensez-vous qu’elle soit devant ou derrière le photographe ? Quel indice vous donne la réponse ? *(2)
3 – Reflets
C’est l’une des techniques majeures de représentation du hors champ. Dans la photo ci-dessous, la maison n’est pas dans le cadre, elle est hors champ et révélée par son reflet. Mais elle est quand même suffisamment grande pour pouvoir être facilement identifiée.
Dans la photo suivante, la montgolfière n’est pas non plus dans le cadre. Elle est révélée par son reflet dans les eaux du Cher. Elle est assez petite, mais sa couleur contraste avec le fond bleu et elle reste identifiable. Plus petite ou sans ce contraste rouge/bleu, cela n’aurait pas fonctionné.
La ligne de regard
La ligne de regard est sans aucun doute la façon la plus efficace de travailler le hors champ. Dès que l’une des personnes présentes dans une image regarde vers l’un des bords du cadre, nous suivons son regard et imaginons ce qui est ainsi regardé. Dans la photo de ce jeune couple, notre regard est immédiatement attiré vers le haut du cadre. Que regardent-ils, que tiennent-ils dans la main ? Une cane à selfie bien sûr, on la discerne à ses tubes télescopiques.
Dans cette seconde version, on voit tout de suite de quoi il s’agit et l’image n’a pas la même charge. Elle est moins intéressante parce qu’elle vous révèle tout de suite de quoi il s’agit. La première vous interroge, sollicite votre attention, votre compréhension, bref elle vous parle.
Le bord cadre
« bord cadre gauche ou droit » est une expression utilisée au cinéma pour désigner un personnage entrant ou s’apprêtant à le faire par l’un des côtés du cadre filmé. Beaucoup de grands photographes ont utilisé cette technique à l’époque du Leica et de son viseur télémétrique qui permettait de voir une zone importante autour du cadre de l’image.
C’est une technique que l’on pourrait qualifier de hors champ partiel. En visant avec votre moniteur plutôt qu’avec votre viseur, vous pouvez assez facilement réaliser un « bord cadre ».
Hors champ involontaire
Le hors champ peut être involontaire ou choisi, mais il apporte toujours quelque chose à l’image : le sujet principal de votre image se met alors à dialoguer, la photo raconte une histoire devient ambiguë, acquiert une force supplémentaire.
* Attention conjointe : tous les êtres humains sont doués d’attention conjointe. C’est ce qui nous fait regarder dans la même direction, éprouver de l’empathie, nous adapter au travail en groupe ou en équipe – Grammaire de l’image volume 1
* Position de la montgolfière : il suffit de regarder la direction de la lumière et des ombres qui indique qu’elle arrive par derrière
Conclusion
Le hors champ en photographie est une technique de composition très utilisée au cinéma, en peinture et par les grands photographes. Elle permet de raconter une histoire avec une seule image et fait appel à l’imagination, la compréhension et la déduction du regardeur. Elle l’implique donc bien davantage et est utilisée dans ce but.
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Philippe Body, votre photographe formateur
Philippe photographe de voyage professionnel a deux passions : la photographie et le voyage. Après … lire plus
intéressant…très intéressant comme concept. Un sujet a explorer !
Merci m’sieur.
Jean-Yves
Merci Jean-Yves et bonne exploration 🙂