Dans cette seconde analyse photo, d’une des premières images du second volume de la Grammaire de l’image, nous allons voir, entre autres, ce qu’apporte le point de vue utilisé à ce cliché.
Analyse photo – la vendeuse de ballons
Voici l’image originale, essayez de deviner (en gros) les données de prise de vues suivantes :
- Vitesse :
- Ouverture :
- Focale :
Sur quels indices vous êtes-vous basés ?
Réponse – Analyse photo
Exif : 1/600° de seconde / f/7,1 – Focale 235 mm – La vitesse est rapide pour figer les pigeons en vol. L’ouverture, est grande pour avoir un beau flou de profondeur de champ, mais pas trop pour que l’on puisse reconnaitre la silhouette du temple derrière – typique du Cambodge. On peut deviner la longue focale à l’effet d’écrasement des plans entre les pigeons et à la zone profondeur de champ limitée.
Technique de composition : point de vue du chien / compression des plans / premier plan encombré / recherche de profondeur
L’intérêt de cette image est dans le point de vue adopté – appelé « Point de vue du chien » c’est-à-dire: à ras du sol. L’appareil était posé par terre et la visée se faisait donc via le moniteur. Ce point de vue très particulier et rarement utilisé (parce que l’on n’y pense pas forcément, parce que jusque récemment beaucoup d’appareils n’avaient pas de viseurs orientables, etc.) nous fait entrer dans l’univers de cette jeune vendeuse de ballons sur la place devant le palais royal de Phnom Penh. C’est le ballet incessant des pigeons qui m’a donné envie d’adopter ce point de vue. Il y a ensuite l’utilisation d’un premier plan encombré. Une technique très intéressante, car elle donne un côté intime à la scène. Ici, on a l’impression que la photo est faite à travers une multitude d’oiseaux. Pour qu’elle fonctionne bien, il faut que le premier plan encombré soit bien flou et plus sombre que le sujet. Cela reproduit bien aussi l’univers de rue de cette jeune vendeuse, même s’il y a des recoupements de plans, des petits défauts, c’est aussi ce qui donne de la vie et un côté instantané à l’image. Or les effets de réels au télé, ce n’est pas si simple.
La profondeur est obtenue par la perspective de netteté (plan flou/plan net) et par celle de répétition (la taille des pigeons diminue selon leur position). Les tons chauds devant (ballons rouge et jaune) et plus froids (ciel) derrière apportent aussi de la profondeur. La couleur rouge très puissante des ballons attire beaucoup l’œil et fait un contrepoids intéressant à la patronne de l’image, la jeune fille.
Les autres cadrages
Ce type de prise de vue est complexe parce qu’il y a beaucoup d’acteurs en mouvement, l’expression de la jeune fille est aussi très important. Mieux vaut faire une série d’images pour être sûr du résultat. Les images qui ont été retenues dans la sélection finale et soumises à mon agence photo sont encerclées en vert, avec un libellé couleur violet. Celles qui possèdent un libellé rouge sont également intéressantes, mais n’ont pas été retenues au final.
Ci-dessous, l’un des choix possibles. Qu’en pensez-vous ? Est-ce qu’elle fonctionne aussi bien ?
Dans l’image ci-dessus, la ligne de regard de la jeune fille conduit vers la gauche, où il n’y a pas grand-chose à voir. Il y a moins de pigeons en vol et cela amoindrit l’effet de premier plan encombré et donc de profondeur. En revanche, la position des oiseaux au sol est amusante.
Enfin, faites une analyse photo de cette dernière image. Est-elle aussi bonne que la première ou celle au dessus ? Essayez de mettre sur papier vos raisons …
La vue ci-dessus est ratée. La ligne de regard de la jeune fille ne conduit nulle part. Il n’y plus d’indices de lieux (temple) donc on ne sait pas trop où se passe l’action. La photo est moins informative et moins aboutie d’un point de vue esthétique. Il y a aussi un recoupement de plans malheureux avec le poteau et les ballons. Ici, pas de premier plan encombré ni de perspective de répétition, donc beaucoup moins de profondeur.
Une dernière pour la route ?
Voici une vue plus large, plus générale. On est moins dans l’action, mais il y a plus d’informations : le temple est très reconnaissable et les habitués de Phnom Penh n’auront aucun mal à reconnaitre l’endroit. Le mouvement des oiseaux en vol est joli et occupe bien l’image. En revanche, le coin en haut à gauche est un peu vide malgré les nuages (mais la presse magazine aime les endroits où l’on peut placer des titres). Il faudrait un bon post-traitement pour déboucher davantage les ombres au niveau du pied du lampadaire. Les vues à contre-jour génèrent fréquemment ce genre de zones sombres peu détaillées. Mais l’histogramme est bon et cela ne poserait pas de problème. En fait si une seule image devait être choisie ce serait la première et non celle-ci. La vue du début est presque aussi informative et plus esthétique, et surtout elle plonge le lecteur dans une ambiance (la vie au ras du sol).
Conclusion
Sur place. Je me suis éloigné de la jeune fille de plus 20 mètres car je voulais un effet longue focale pour pouvoir faire mon flou de profondeur de champ et tenter un premier encombré avec les pigeons. A cette distance, je ne voyais ce qu’il se passait qu’à travers le viseur. J’ai donc eu le temps de régler mon appareil (vitesse / ouverture / ISO). Comme j’étais loin d’elle et ne la dérangeais pas du tout, j’ai pu prendre mon temps pour cadrer, essayer divers réglages, etc. L’appareil était posé au sol sur un bean bag. C’était le seul moyen de gérer le carrelage brillant de la place. Ci-dessous en noir et blanc l’intérêt passe des couleurs aux ombres, à la lumière et aux contrastes. L’effet d’échelle entre les pigeons est intéressant.
J’espère que cette seconde analyse photo vous a plu. Si c’est le cas n’hésitez pas à partager et abonnez-vous au blog (ci-dessous) pour ne pas rater les prochaines – vous serez prévenu par mail. Et pour tout savoir sur l’analyse d’image, le patron, les faiseurs de rois, la hiérarchie des éléments visuels, etc., quoi de mieux que de consulter le premier volume de la grammaire de l’image …
Retrouvez la première analyse ici.
Le second volume de la grammaire de l’image est publié depuis moins d’1 mois, mais connait déjà un beau succès. Merci à tous les lecteurs qui prendront le temps de laisser une évaluation. Pour tous les nouveaux acheteurs qui ne nous connaissent pas, c’est en effet un critère d’achat très important
Philippe Body, votre photographe formateur
Philippe photographe de voyage professionnel a deux passions : la photographie et le voyage. Après … lire plus
J’aime beaucoup la 1re. Le seul regret c’est de ne pas avoir son regard, si intense sur la 2e photo. J’aime justement le côté chaotique du 1er plan, ça demande au spectateur à s’attarder sur la photo pour y forcer sa réflexion, y trouver les détails alors que la suivante donne un travail d’interprétation « pré mâché » si j’ose dire.
Un grand merci pour cette série. Je débute à peine, je suis votre blog depuis peu et c’est super d’avoir accès à ce travail d’autocritique. C’est très instructif, on y apprend beaucoup.
Pour ma part, je préfère la 3eme photo. Le regard ne va pas dans le vide. Il incite au contraire à se demander ce qu’elle regarde (Le photographe, un client potentiel ou autre chose) et laisse place à l’interprétation . Ce regard assez incisif force le spectateur de la photo à se poser des questions et ainsi à créer une histoire.
Le reste de la scène est moins fouillis que celui des 2 premières photos.
Le seul défaut réside dans l’oiseaux en vol de gauche qui est coupé. Faut-il le laisser ou l’enlever.
Cordialement
Bonjour Jean-Marc, peut-être voulez vous parler de la seconde image, car il n’y a pas d’oiseau en vol dans la troisième ? Pour le regard, ce que vous dites est intéressant. La technique du hors champ est basée là-dessus. Bien entendu, elle ne regarde pas le photographe. Ma position est indiqué par l’angle de prise : je suis en face d’elle et pas sur le côté. C’est une bonne image, moins dérangeante et plus « propre » que la première, mais moins immersive et moins représentative de l’univers de la vie au sol des vendeurs de rue.
La première photo est très expressive avec l’opposition de couleurs, de net et de flou. L’ensemble attire le regard.
Bonjour James, merci pour votre commentaire, la première image est bien celle qui à travers les techniques de premier plan encombré et le point de vue à ras du sol retransmet le mieux l’expérience du fouillis, de la frénésie de la vie au Cambodge.
La première image ne me plait pas du tout. Elle ressemble et rassemble un fouillis difficilement discernable au premier regard. Trop de flou et pas très graphique. Pour moi, ça aurait été poubelle directement. La deuxième est plus compréhensible et surtout plus agréable à regarder. Il aurait été judicieux d’éclaircir un peu le visage, c’est quand même le sujet principal. J’aime bien la troisième à condition de supprimer la zone à l’extrême gauche (branche dans le coin, pigeon coupé et réverbère) et de resserrer le cadrage à droite.
Bonjour Max, je me répète un peu dans ma réponse sur le commentaire de Bernard, mais vous êtes dans le ressenti personnel. Moi je, il aurait fallu, à condition de supprimer ceci, cela, etc. Autrement dit, vous vous projetez dans l’image de quelqu’un d’autre avec votre gout et vos propres préférences. Or une analyse d’image n’a rien à voir avec l’affectif et les gouts personnels. Car vous n’étiez pas là, vous n’auriez pas cadrer comme cela, etc. A quoi bon dès lors juger d’après vos propres critères esthétiques ? La troisième image que vos préférez est simplement la plus « classique » et « lisible ». Elle est sans doute moins dérangeante, mais ne possède aucune des qualités des deux premières et n’a d’ailleurs pas été sélectionnée par l’agence photo. Enfin, un peu d’humilité sur les conseils donnés, ne fait jamais de mal …
Personnellement je n’aime pas beaucoup la première photo. La lumière flatte les ballons et le personnage principal est en partie dans l’ombre et légèrement flou. En fait la vendeuse est perdue dans ce magma de pigeons. Par contre j’aime bien les 2 dernières.
Bonjour Bernard, l’analyse ne doit jamais être basée sur le ressenti personnel. C’est une des clés de l’exercice. Merci d’éviter si possible les affirmations gratuites comme le visage est légèrement flou, etc.