Analyse d’image : la vendeuse dans le train. La photo semble avoir été prise à la sauvette, mais est en réalité un mélange d’anticipation et de hasard (du genre qui fait bien les choses). Pour cette troisième analyse d’images du second volume de la Grammaire de l’image nous allons nous intéresser à une image assez opportuniste où la chance a jouée un rôle important.
La vendeuse dans le train
Voici le cadrage original à la prise de vue. L’image a été légèrement recadrée pour tenir dans la maquette du livre, les dimensions des pages de celui-ci n’étant pas homothétiques comme c’est presque toujours le cas.
J’ai donc enlevé un peu du côté gauche et en haut de la photo comme on peut le voir dans l’image ci-dessous (les parties en gris foncé – un peu transparentes). Ces parties correspondent à ce que j’appelle le gras. En termes d’analyse d’image le gras est une zone du cliché comportant des informations déjà présentes ailleurs et qui n’apporte donc rien de plus au niveau documentaire. Après, c’est comme pour le jambon blanc, certains mangent le gras, d’autres l’enlèvent. C’est juste une question de goût et il n’y a pas de règle. Ici, j’ai coupé une partie des poignées auxquelles les gens peuvent se tenir dans le traine (mais je laisse celle de droite entière pour que l’on prenne bien ce que c’est). Une partie du sol et de la banquette. Bref rien qui ne manque réellement en terme d’information.
Analyse de l’image
Commencez par essayer de deviner quelles étaient (en gros) les données de prise de vue :
- vitesse
- ouverture
- focale
Je ne parle pas des ISO qui ne changent en rien l’aspect composition et créatif des images.
Réponses :
- Vitesse 1/150° de sec. – tout est net (1), le train est arrêté (on le suppose puisque la vendeuse descend et que le quai de gare à l’extérieur est net aussi), donc la vitesse est au moins au dessus du 1/60° sinon la femme serait légèrement floue.
- Ouverture f/3,5 – là il n’y avait pas beaucoup d’indice car il n’y a pas vraiment de flou de profondeur de champ. Mais dans ce type de prise de vue, on privilégie souvent la vitesse plutôt que la profondeur de champ.
- Focale 35 mm – on voit qu’il s’agit d’un grand angulaire car les lignes verticales près des bords l’image (2 et 3) sont légèrement obliques. Cela indique l’utilisation d’une courte focale et un point de vue en légère plongée.
Voyons maintenant comment fonctionne l’image et quel est le sens de lecture.
Le sens de lecture
Il y a plusieurs patrons dans l’image, mais c’est bien la vendeuse du train (1) qui attire la première l’attention grâce à sa position centrale et à sa grande taille. Le regard se pose ensuite sur la seconde passagère du train (2) assise à sa droite. Et la ligne de regard de celle-ci renvoie précisément à la vendeuse. Le troisième point fort de l’image est la femme est son enfant sur l’affiche (3 et 4) à l’extérieur sur le quai de gare. Rappelons que pour notre cerveau, une représentation d’être humain a tout autant d’importance qu’un être humain en chair et en os .. Et puis en chair et en os dans une photo c’est relatif ! L’affiche attire beaucoup l’œil parce qu’elle est dans une zone de haute lumière.
Le sujet (la vendeuse du train) est donc prise en sandwich en quelque sorte entre 2 autres figures humaines qui l’encadrent et ou renvoient vers elle.
Techniques de composition
La scène photographiée est intéressante, mais elle pourrait n’être qu’exotique. Les vendeuses dans les trains sont fréquentes en Birmanie et dans toutes les régions pauvres d’Asie du sud-est. Ce qui fait la qualité de cette image, c’est la technique de juxtaposition appelée aussi jumelage. Elle est basée sur le fait que notre cerveau met systématiquement en relation des éléments proches dans l’image. Cela a été étudié et démontré dans le cadre de la théorie de la Gestalt dont je parle dans le volume 1. De nombreux photographes de presse et de reportage utilisent cette technique de la juxtaposition pour enrichir leurs images.
Dans le cas de notre vendeuse, c’est la juxtaposition avec l’affiche à l’extérieur du train et la scène à l’intérieur du wagon qui fonctionne bien. Sur l’affiche de publicité, on voit une femme enlaçant tendrement son enfant tout comme la mère assise dans le train, avec d’ailleurs les mêmes gestes. Sauf que la première famille est très à l’aise financièrement et semble vivre dans un monde tout de blanc et de pureté. Dans la vie réelle, les chaussures des 2 femmes soulignent leur niveau de vie tout comme le métier de la vendeuse dont on peut imaginer à partir de la taille de sa bassine, la difficulté. Un contraste puissant donc entre la vie réelle et le monde de consommation où tout semble beau et lumineux.
Un peu de chance, pas mal d’anticipation
Dans la photo de reportage et de rue, il faut toujours compter sur vous-même avant de compter sur la chance. mais parfois celle-ci aide bien. Dans mon cas, le fait que le train s’arrête pile à l’endroit où la publicité se détache est effectivement un coup de chance. En réalité, le wagon n’était pas encore arrêté, mais j’ai pu voir venir la publicité car elle se répétait à différents endroits de la gare. Mais il fallait être bien placé pour saisir la scène. Les vendeuses de train, ne se déplacent pas avec des bassines aussi lourdes en permanence sur la tête. Elles la posent dès qu’elles peuvent. Comme je venais de la voir remettre sa bassine sur sa tête, je savais qu’elle allait descendre, ce qui m’a donné le temps de me placer.
Les difficultés techniques
D’abord, ce n’est pas parce qu’une image est un peu ou beaucoup compliquée à faire que cela lui donne la moindre plus-value. La difficulté c’est le problème du photographe pas du spectateur. J’en parle parce que cela peut vous être utile dans le même genre de situation. Il y a d’abord le problème de la vitesse : il faut bien sûr qu’elle soit suffisamment rapide pour que les vibrations du train ne créent pas un flou de bougé. Mais c’est surtout un problème de dynamique. Il y a beaucoup de lumière à l’extérieur et peu à l’intérieur et en général ce type de vue est très, trop contrasté. la solution : prendre la photo lorsque le train entre en gare ou passe dans une forêt, un endroit sombre, etc.
Avant la photo
Voici la vue qui m’a fait comprendre que la vendeuse allait quitter le wagon. On y voit un homme l’aidant à caler et centrer sa bassine sur sa tête. On imagine aussi l’effort physique nécessaire. C’est une vue de reportage classique, de qualité mais sans la plus-value créée par la juxtaposition de l’image précédente. Pour cette vue, j’ai utilisé une vitesse plus élevée (1/250° de sec.), car il y avait beaucoup de vibrations. mais on ne sait pas si le train est en marche – il n’y a pas d’indices visuels permettant de le deviner. La vitesse trop élevée les a éliminés.
Quiz
Laquelle des 2 vues ci-dessus est la plus intéressante (et il ne s’agit pas d’une affaire de goût personnel) ? L’une des 2 photos fonctionne tout simplement beaucoup mieux ! Qu’est ce qui fait la différence ?
Réponse
C’est la vue de droite qui est la meilleure. Pour 2 raisons. D’abord le regard de la mère renvoie vers la vendeuse – ce qui connecte les 2 parties de l’image. Deuxièmement, l’effet de vitesse sur la partie extérieure au train (la forêt) est beaucoup plus fort, ce qui explique pourquoi la vendeuse se tient à la barre, souligne la difficulté de son métier et ses propres capacités d’équilibre hors pair. La vue de gauche a été faite au 1/100° de sec.) ce qui donne un léger flou de mouvement. J’ai regardé l’image dans mon viseur et agrandi pour voir l’effet, puis j’ai baissé la vitesse au 1/40° de sec. pour augmenter l’effet dans la vue de droite. Les ISO ont été changé à chaque fois afin de garder une ouverture relativement grande (f/2;8 – f/4) pour que l’arrière du wagon soit légèrement flou – ce qui ne se voit pas trop en petit. Bref, il n’y a pas photo !
Voilà pour cette troisième analyse d’image. J’espère qu’elle vous a plu. Je salue chaleureusement et remercie tous les nouveaux abonnés au blog. N’hésitez pas à commenter. Vous pouvez aussi retrouver les articles partagés sur mon compte facebook
Retrouvez d’autres analyses ici.
Enfin, merci à tous les lecteurs du volume 1 qui ont propulsé le second opus de la grammaire de l’image dans les meilleures ventes Amazon dans sa catégorie ! Nous avons aussi besoin de commentaires sur le sur site d’Amazon, alors merci de penser à laisser une évaluation si le livre vous a plu.
Philippe Body, votre photographe formateur
Philippe photographe de voyage professionnel a deux passions : la photographie et le voyage. Après … lire plus
Merci beaucoup pour cette analyse d’image. Ça permet d’exercer son oeil et d’apprendre des astuces au passage.
merci
Remarquable compte rendu ,mon œil pas assez exercé n’avait pas tout remarqué,bravo et merci de nous partager ces expériences er surtout nous expliquer la démarche.
Merci Daniel, d’avoir pris le temps de commenter. Philippe