effet de réel Les effets de réel sont des techniques utilisées par les photographes de presse et de reportage pour ajouter de la crédibilité à leurs photos, les rendre plus neutres, plus abordables et au final plus réalistes. Ce sont des techniques transparentes, mais très élaborées, souvent utilisées au cinéma également.Les effets de réel plongent les lecteurs au cœur de l’action en le plaçant du point de vue du photographe. On parle aussi de cadrage immersif. Cela donne des images percutantes, très puissantes et séduisantes parce que tout le monde finalement a eu envie un jour d’être à la place d’une (doctoresse, un pompier, pilote d’avion, plongeuse, jockey, conducteur de TGV, etc).

Les effets de réel en photographie

Parmi tous les arts, la photographie entretient un rapport privilégié avec la réalité. Dans certaines circonstances, la photographie a valeur de preuve au tribunal et pour toutes les générations nées au siècle dernier une photo représente encore la réalité. C’est sans doute un peu moins vrai pour les jeunes générations qui sont habituées aux retouches et aux manipulations proposées d’office sur les smartphones et les réseaux sociaux.

effet de réel

Réalité ou objectivité

On confond souvent les notions d’objectivité et de réalité. Les penseurs de l’image et les philosophes ont beaucoup débattu sur le sujet et je ne vais pas reprendre ce très vieux débat. Mais avant de parler des techniques des effets de réel, disons un petit mot sur ces notions. Une photo n’est que très rarement « objective » sauf lorsqu’elle est exclusivement documentaire. Ainsi la reproduction d’un tableau est objective, car elle retranscrit fidèlement l’original (à l’exception de la texture). Même chose pour la photographie scientifique, criminelle, etc. L’utilisation d’une échelle, d’un éclairage uniforme, sans ombre, et la prise de différents points de vues et plans fait que ce type d’image est considérée comme « objective » – y compris en justice.

En photo de presse cependant, l’objectivité est quasi impossible sur une seule image, car le reporter est obligé d’adopter un point de vue alors qu’une vraie objectivité supposerait de montrer les différents points de vues justement. Par exemple, si vous prenez la photo d’une émeute urbaine en vous plaçant du côté des manifestants, vous ne pouvez montrer ce que perçoivent en face les forces de l’ordre. Il faut pour cela multiplier les points de vue. En revanche, les 2 images seront bien une petite tranche de réalité. C’est-à-dire qu’elles représentent quelque chose qui bien eut lieu.

Qui dit machine dit neutralité

C’est parce que la photographie est réalisée par une machine (supposée ne pas mentir et ne pas avoir de points de vue personnel) qu’elle entretient ce rapport privilégié avec la réalité. Un appareil ne saurait mentir. Les gens croient encore aujourd’hui – malgré les trucages et les mises en scène qui ne datent pas de Photoshop ou de l’IA – que ce que montre une photo représente la réalité. Cela ne durera peut-être pas, mais inconsciemment c’est encore le cas. Pour beaucoup de spectateurs, le fait d’apprendre qu’une image a été mise en scène est souvent une déception. Ceux qui le font (souvent des professionnels d’ailleurs) se gardent d’ailleurs bien de préciser « photo mise en scène » sur leurs tirages. Mais c’est surtout une question de genre photographique. Dans une photo de reportage, c’est grave et contre-productif. Au début de l’invasion russe en Ukraine, un père avait photographié sa fille un fusil à la main et une sucette à la bouche. L’image était devenue virale sur les réseaux qui ne s’encombrent guère d’éthique. L’auteur avait ensuite expliqué que c’était une mise en scène, comprenant que ce genre de tromperies risquait de nuire en fait à la cause qu’il défendait.

Il y a la même différence entre un vidéo de reportage et un film. Au cinéma, une scène de violence, vous touchera forcément moins que si vous la voyez en vraie ou s’il s’agit un fait réel filmé par un journaliste. Or une grande partie de l’attrait de la photographie pour le public réside justement dans ce rapport complexe qu’elle entretient avec la réalité.

Les différents effets de réel

Les photographes de presse utilisent des techniques de composition appelées « effets de réel » qui permettent de renforcer et de mettre en avant le côté « authentique » d’une image. En voici quelques-uns :

L’importance capitale du point de vue

On utilise principalement 2 points de vue pour accentuer les effets de réel. Le premier est appelé « point de vue subjectif » au cinéma et immersif en photographie et il consiste à donner au spectateur l’impression qu’il était à la place du photographe ou du vidéaste. On le plonge au cœur de l’action ce qui tend à prouver  qu’il n’y a pas de filtres, pas d’obstacle, entre la réalité et ce qu’il voit. Pour une photo de jockey par exemple, vous vous mettrez juste derrière lui sur le cheval … C’est évidemment plus compliqué que le prendre des tribunes.

Le second est le « point de vue à hauteur du sujet ». Celui-ci évite les effets de plongée et contre-plongée et paraît plus naturel, mais aussi plus neutre, car il évite le parti pris inhérent aux 2 autres. Dans la plongée, vous regardez les gens de haut, dans la contre-plongée c’est le sujet qui vous regarde de haut. Dans le premier cas, vous faites paraitre votre sujet plus fragile, faible, voire misérable. C’est un point de vue légèrement condescendant. La contre-plongée fait au contraire paraitre votre sujet plus grand que nature. Il est surhumain, c’est le point de vue des hommes et femmes célèbres – placés sur un piédestal. Du coup, cela risque de les rendre un peu arrogants. Ci-dessous dans ce superbe cliché de Joseph Koudelka un point de vue à hauteur du sujet et la proximité du photographe avec son sujet donnent  un effet de réel maximal.

Les effets de réels

(c) Joseph Koudelka

 

Neutre et bienveillant

Le point de vue à hauteur d’yeux ou du sujet est au contraire totalement neutre. Il est d’ailleurs très utilisé dans la photographie sociale. C’est aussi un point de vue bienveillant, car il ne prend pas parti, il ne comporte aucun préjugé. Tous les hommes politiques lorsqu’ils passent à l’antenne demandent à être filmés uniquement avec ce point de vue là, pour ne paraitre ni faible, ni arrogant. C’est le point de vue adopté majoritairement par Dorothea Lange ou Walker Evans par exemple dans leurs reportages sur la situation des ouvriers agricoles aux états-unis, réalisés à partir de 1935. Ces 2 photographes refusant les effets photographiques traditionnels comme le fond flou pour un portrait, etc., au profit d’une simplicité et d’une neutralité parfaitement adaptées à la gravité de leurs sujets. Ce que l’on a aussi appelé la photographie vernaculaire (à propos de Walker Evans).

walker evans photo vernaculaire

(c) Walker Evans

Point de vue encombré

Curieusement des éléments gênant la vision sont souvent interprétés comme une indication que l’image a été prise dans une certaine urgence, que la photo a été volée en quelque sorte – ce qui contribue à lui donner un air plus vrai. Au cinéma, il est souvent associé au point de vue subjectif. On filme quelqu’un en train de parler en mettant au premier plan l’épaule ou la silhouette (floue) de la personne avec laquelle il dialogue. En photographie, les paparazzis lorsqu’ils montent une image avec la complicité des vedettes elle-même – ce que l’on appelle une fausse planque – utilisent beaucoup le premier plan encombré. Ils prennent leurs clichés à travers un grillage, un obstacle quelconque pour faire comme si celui-ci avait été volé. En clair, ils incluent des défauts dans leur mise en scène pour faire plus vrai.

Ci-dessous, le cadrage de ce joueur de Mah jong place le spectateur au même point de vue que ceux qui sont en train de le regarder – renforçant l’effet de réel de la scène.

Premier plan encombré et effet de réel

(c) Philippe Body

L’instantané et le flou de mouvement périphérique

L’instantané renforce le sentiment d’immédiateté et donc de réel. Autrement dit, pour le lecteur, vu la vitesse à laquelle ça s’est passé, l’image est forcément authentique. Pour fonctionner, la photo ne doit pas être trop parfaite. Un léger flou et notamment un flou de périphérie renforce les effets de réel. Là encore l’idée est d’éviter ce qui diffère trop de la perception de la vision humaine. Or l’œil humain représente le mouvement à une vitesse proche du 1/25° de seconde. C’est la vitesse historique de défilement des images au cinéma et en vidéo. Une vitesse ultra rapide du genre 1/2000° ou plus lente (1/8° de seconde et en dessous) fait moins vrai.

La vision humaine est très bonne au centre et très mauvaise en périphérie (floue et sans couleurs). Un flou de mouvement périphérique (je parle de cette technique dans le volume 2 de la Grammaire de l’image) reprend la perception humaine du mouvement avec un sujet net au centre et flou sur les bords. Un défaut courant à une certaine époque sur les objectifs, mais qui donnent de vrais effets de réel. C’est aussi ce que donne souvent un léger grand angulaire comme le 28 ou le 35 mm (chiffres pour capteur 24X36) lorsque l’on s’immerge dans l’action – technique chère à William Klein – avec une ouverture relativement grande.

Dans la photo ci-dessous – signée Raymond Depardon, on a l’impression de suivre le combattant traversant la rue. Le flou de mouvement périphérique et le point de vue (dangereux) donnent une sensation maximale de réalisme.

les effets de réel en reportage

(C) Raymond Depardon

La perspective frontale

La présence du sujet face à l’objectif – ce que l’on appelle la perspective frontale – emporte l’adhésion du spectateur parce qu’elle crée un lien avec le sujet. Cette perspective semble indiquer qu’il n’y a rien entre le sujet et celui qui regarde.Cette « transparence » renforçant le côté réel de l’image.

Couleurs naturelles sans excès

Là encore, il s’agit de ne pas trop s’écarter des codes de la vision humaine. Évitez donc les ciels noirs de fin du monde, les couleurs saturées à l’excès ou les styles d’images trop « cinéma » si vous souhaitez faire réaliste. L’emploi de la couleur peut permettre de situer des lieux, des saisons, des heures et n’est pas uniquement esthétique. C’est le parti pris du photographe Martin Parr spécialiste de la photo vernaculaire qu’il a porté à des sommets. Dans sa photo ci-dessous – prise en Italie, la perspective frontale et la proximité avec le sujet donnent l’impression qu’il n’y a rien entre nous et le sujet. les couleurs évoquent une journée au temps maussade au bord de la mer. La plupart des gens peuvent se projeter dans ce genre d’image parce qu’ils ont déjà vécu ce genre de situation avec cette météo et le souvenir des couleurs comme celui des odeurs est très précis.

martin parr - couleurs

(C) Martin Parr

Les effets de réel en pratique

La focale

On utilise un grand angle (entre 28 et 35 mm) ou une focale standard (50 mm) afin de ne pas proposer des perspectives trop différentes de la vision humaine. On peut aussi employer de petits télés (70 mm). Avec un léger grand angle, on évite d’être trop près du sujet ou de le mettre sur les côtés pour éviter la déformation de bords ou anamorphose.

La profondeur de champ

On évite tout effet de fond flou dü à une faible profondeur de champ. Pas de grande ouverture donc, là encore on essaie de se conformer aux codes de la vision humaine. C’est une des raisons pour lesquelles, les longues focales ne sont jamais utilisées pour les effets de réels.

Ensuite tout est question de choix de point de vue : on peut se placer derrière le jockey par exemple – pour montrer exactement ce qu’il voit. On peut aussi s’immerger soi-même dans l’action comme l’un des participants – ce que faisait William Klein par exemple. Dans tous les cas, il faut être proche de son sujet, pour que le spectateur ait l’impression de vivre les choses en même temps que lui, de respirer le même air.

Les effets de réel en pratique

Beaucoup de photographes de presse à partir des années 60 ont quitté le style purement documentaire ou vernaculaire pour enrichir leurs compositions. Mais pour garder le maximum d’effet de réel, ils ont utilisé les lignes et les formes ou lignes directrices (obliques, triangles, lignes de mouvement, de regard, etc.) qui emmènent jusqu’au sujet et ferment les bords. Cela leur permettait de contrôler le sens de lecture de leurs clichés. Le reporter Larry Burrows a été l’un des premiers à utiliser cette technique. On a ainsi l’impression d’être partie prenante de ce qui est en train de se dérouler et cela crée plusieurs plans et donc donne de la profondeur à l’image.

les effets de réel en reportage

(C) Larry Burrows – Vietnam

Conclusion

Les effets de réels sont intéressants dans certains genres photographiques pour ajouter de la crédibilité aux images. Ce sont des techniques qui renforcent l’impression de vérité, de réalité de l’image. En pratique ce sont des techniques subtiles et souvent difficiles à mettre en place car elles imposent une grande proximité avec le sujet et un contrôle strict du point de vue choisi.

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Philippe Body, votre photographe formateur

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Philippe photographe de voyage professionnel a deux passions : la photographie et le voyage.  Après  … lire plus

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plusieurs séjours en Afrique, il se rend en Asie et c’est l’éblouissement. A la fin des années 80, il réalise ses premiers reportages en Inde, dont un sujet sur l’inaccessible ethnie Muria dans la province reculée du Chattisgarh et le gigantesque projet de barrage Narmada. Plusieurs publications s’ensuivent et ses premiers reportages sont diffusés par l’agence VU. En 1990, il est l’un des premiers photographes à revenir au Vietnam qui sort enfin de son isolement. Cinq ans plus tard, il entre à l’agence Hoa Qui, spécialisée dans la photo de voyage avant de rejoindre en 2007 la prestigieuse agence Hemis.fr. En 2010, il créé le site “www.avecunphotographe.fr” pour proposer ses propres stages et ceux de quelques photographes de grande qualité. Aujourd’hui son travail est diffusé par les agences Hemis.fr – Getty et AGE fotostock ainsi que sur son propre site professionnel www.philippebody.com

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