Vous faites peut être déjà de la photo computationnelle et on ne vous l’a même pas dit ! Comme monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, nous sommes nombreux à déjà pratiquer la photo computationnelle …
La photo computationnelle kesako ?
Il s’agit d’une combinaison de photographie traditionnelle (optiques, capteurs, etc.) avec la nouvelle puissance de calculs des processeurs miniaturisés. De quoi faire enfin du vieux slogan de Kodak « Déclenchez on s’occupe du reste », une réalité.
En pratique, plusieurs capteurs enregistrent en même temps une image avec différentes focales, réglages et options puis composent ensuite la photo finale. Ainsi, lorsque vous faites un panorama ou photographiez en mode HDR avec votre smartphone ou votre appareil, c’est de la photo computationnelle. C’était le cas d’une couverture récente du célèbre quotidien Washington Post. Cette image HDR visiblement faite au smartphone (voir ci-dessus) a déclenché plusieurs commentaires sur la photo du futur … la fameuse photo computationnelle.
Mon smartphone aussi bon que mon boitier pro …
Tout a démarré lorsque les fabricants de smartphones ont cherché à reproduire l’effet de flou de profondeur de champ. Ce fameux Bokeh obtenu facilement sur un reflex ou un hybride grâce à une combinaison grande ouverture et longue focale.
Mais avec les capteurs minuscules des smartphones, impossible d’obtenir un aussi joli flou d’arrière plan. On a alors vu apparaitre des smartphones (I-phone, samsung, Nokia, Huawei, etc) qui proposaient un mode portrait. Utilisant parfois 2 objectifs, pour distinguer le sujet du fond ou d’autres systèmes logiciels complexes, les smartphones créent une illusion de la profondeur de champ en détourant le sujet et floutant le fond. Effet qui peut être parfois affiné après la prise de vue. Si vous voulez savoir comment les smartphones simulent la profondeur de champ lisez cet excellente article
Seule limite à ce système, la rapidité des calculs et on sait que c’est une chose qui s’améliore tous les ans.
Du premier smartphone au tout dernier appareil computationnel
Sorti en 2000, au Japon, le Sharp J-SH04 fut le premier téléphone à pouvoir prendre des photos. Il était équipé d’un capteur 0,11 Mégapixels. A l’époque, la plupart des commentateurs étaient un brin moqueur. Sauf que le public a adoré.
Moins de vingt ans plus tard, en 2017, sortait le L16. Un téléphone possédant 16 capteurs de 13 millions de pixels utilisés simultanément et qui produisent une image finale de 52 MP. Avec le L16, vous pouvez prendre une image puis régler la mise au point ou la profondeur de champ après, enfin en théorie. Cet appareil que beaucoup considèrent comme un simple prototype préfigure peut être le futur de nos appareils photos.
HDR, Mode nuit, Panoramas nous y sommes déjà
Même chose pour le HDR, plusieurs objectifs enregistrent la même image à des expositions différentes et réalisent la combinaison HDR. Autrement dit une représentation artificielle de la réalité. Une fonction aujourd’hui courante sur les smartphones comme sur des boitiers photo avancés et experts. Et une qualité qui rivalise avec ce que l’on peut faire en post-traitement sur les meilleurs logiciels.
Présent également sur de nombreux smartphones et quelques boitiers photo, le mode « nuit » permet de réduire le bruit numérique en empilant les images avant traitement. Une autre version du Stacking.
Photographie assistée par ordinateur
Dans le futur, la photo sera de plus en plus le résultat d’un traitement logiciel réalisé non pas en post-traitement, mais en temps réel. Avec pour seule limite, la puissance des ordinateurs embarqués dans nos appareils et nos smartphones. Nvidia, et d’autres chercheurs américains, travaillent sur un projet consistant à prendre une image avec des focales différentes pour ensuite les combiner entre elles et pouvoir proposer un réglage de la mise au point, ou de la profondeur de champ, après coup. Comme le Nokia Pureview qui possède déjà 7 objectifs. Certains photographes pensent que cela pourrait amener à enregistrer l’image en 3D et qu’il serait alors possible de voyager dedans ou de créer facilement des hologrammes. On peut aussi imaginer un enregistrement qui déborde dans le temps. Ainsi une série d’images serait réalisée à une cadence élevée proche de la vidéo. Les frontières entre photo et vidéo étant appelées à disparaitre progressivement sans doute.
Le futur de la photographie sera connecté ou ne sera pas
Aujourd’hui, un grand nombre d’amateurs photo possèdent un appareil ne disposant pas forcément d’une connexion wi-fi. Ils travaillent en numérique à peu près comme on travaillait en argentique: on fait une photo, on la travaille un peu en post-traitement ou pas et ensuite seulement on la partage. L’idée première étant de garder la photo, plus que de la partager d’ailleurs souvent.
Mais la majorité des images produites dans le monde le sont aujourd’hui par les smartphones. Soit selon « Futuresource Consulting », 638 millions de clichés pour la seule Europe de l’Ouest. Ce qui nous fait en passant un peu plus de 230 milliards d’images par an … La plupart de ces photos réalisées au smartphone n’ont pas vocation à être conservées. Elles sont partagées et vite oubliées. Leur durée de vie sur le réseau étant limitée, leur qualité n’a pas à être aussi bonne. Sauf que le smartphone tend à devenir de plus en plus le seul appareil photo que les gens emportent et utilisent. D’ailleurs les ventes d’appareils photo dans leur ensemble baissent année après année. De 121 millions en 2010 à seulement 19 millions l’année dernière. Les smartphones avec appareil photo et vidéo haut de gamme sont donc à la mode et ils commencent juste leur évolution.
Le remplacement des appareils traditionnels par les smartphones …
Ce sera surtout une question de temps. Plus l’appareil photo est simple à utiliser, porter, sortir et plus on fait d’images. Les gens photographient pour alimenter leurs réseaux sociaux, partager avec des proches. Tout y passe, selfie, legly, animaux domestiques, photo des repas , etc. La photo est de plus en plus facile et le post-traitement appliqué aux images des smartphones de plus en plus performant. Dans mes stages je vois beaucoup de gens qui sont carrément déçus par le rendu de leur photo avec un boitier reflex. Ils ont acheté un appareil plus cher, plus perfectionné, plus compliqué et le résultat est au premier abord moins flatteur qu’avec un bon smartphone.
Si les fabricants d’appareils photo veulent arrêter la baisse des ventes, ils vont s’engouffrer dans la photo computationnelle pour offrir aux gens un rendu au moins aussi bon que celui des meilleurs smartphones. Mais ce n’est pas sûr que cela suffise à enrayer la baisse des ventes.
Le futur de la photo
Aujourd’hui pour beaucoup de gens encore, la prise de vue est toujours l’étape décisive de la création d’une photographie. Certes ce n’est plus l’époque de la diapositive où celle-ci était livrée vraiment brute de décoffrage, mais les choses ont finalement assez peu changé. Avec la photo computationnelle, c’est la synthèse des données enregistrées qui sera capitale. Ainsi que la qualité de l’intelligence artificielle embarquée. Ensuite, l’appareil (en mode auto) ou le photographe tireront différentes versions de la photo en post-traitement. Mais ce post-traitement sera quasi instantané, voire automatique.
Que restera-t-il aux photographes ?
La photo sera encore plus facile et il y aura encore plus de photographes qui dépasseront les problèmes techniques. La photo computationnelle ne remplacera ni la créativité, ni la connaissance des règles de la grammaire de l’image du photographe, mais cela réduira encore l’écart entre le débutant et l’expert. Petit à petit, cela distendra aussi le lien historique entre photo de plus en plus travaillée et retouchée et réalité. Dans peu de temps, la photo computationnelle permettra de réaliser des œuvres hybrides entre vidéo et photo de type sujet net et fond en slow-motion ou autres …
Bref un vrai bouleversement pour le coup, mais il restera toujours au photographe à choisir sa composition et surtout son implication personnelle. Ce n’est pas de déclencher qui fait de vous un(e) photographe. C’est ce que sous-tend ce geste, ce que vous voulez dire, défendre, montrer en photographiant. Et pour le coup, cela au moins n’a pas changé depuis un bon moment.
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Philippe Body
Photographe de voyage professionnel, blogueur, directeur de Avec Un Photographe
Photographe de voyage professionnel, spécialisé sur l’Asie, je parcours le monde depuis l’âge de 22 ans,réalisant reportages et livres et guides de voyage. Mon travail photographique est diffusé par les agences photo Hemis.fr, Gamma-Rapho et Getty Images entre autres ainsi que sur ma photothèque pro : www.philippebody.com
En 2011, je créé le site www.avecunphotographe.fr puis la société AVEC UN PHOTOGRAPHE pour proposer des stages photo axés sur la composition et la créativité. J’organise aussi des voyages photo en Asie. Le blog avec un photographe est lancé en 2015. Depuis le site s’est ouvert à d’autres photographes pros de talent. … en savoir plus
Bonjour Phil,
Tu me fais découvrir un aspect de la « photo » avec smartphone dont je n’avais pas conscience. J’ai mis photo entre guillemets car pour moi la très grande majorité des utilisateurs prennent des « images » et non pas des photos. Considérer qu’un selfie est une photo… ? pas pour moi. Comme tu l’écris, les photos deviennent des « objets » de consommation, partagés et vite oubliés (heureusement…). Des photos de la vie de tous les jours qui intéressent… pas grand monde finalement, en dehors du principal intéressé. Le seul but semble être le partage.
Mais cette évolution technique est bien intéressante par ailleurs, en terme de portabilité, de poids, de facilité, et de possibilités. L’utilisation massive qui va être faite de l’IA va certainement changer beaucoup de choses. On voit aussi que l’utilisation des drones apporte des points de vues très différends de ce qui est possible au sol. Mais que va-t-il se passer si tout le monde s’y met ? J’imagine par ex. la tour Eiffel entourée de centaines de drones…
Enfin, pas trop d’accord avec toi à propos de la fin du dernier paragraphe de l’article : « C’est ce que sous-tend ce geste, ce que vous voulez dire, défendre, montrer en photographiant. Et pour le coup, cela au moins n’a pas changé depuis un bon moment ». Sur les réseaux sociaux, à part publier des photos qui veulent dire ; « j’existe, je suis là, moi en train de… moi à tel endroit, le petit dernier en train de… etc. » il n’y a pas grand chose qui méritent une quelconque attention. Les belles photos qui ont un sens sont rare. Je suis peut-être trop difficile ?
Restent quelques détails techniques à régler. J’ai une tab S4 qui fait d’assez jolis clichés, un format A4 permet un bon cadrage (sic), mais en plein soleil… pas facile.
Cordialement
Salut Berg, oui on peut considérer que la grande majorité des images prises avec smartphones ne sont pas des photos au sens où on l’entendait auparavant. Mais c’est aussi vrai de beaucoup de photo de patrimoine, de voyage, etc. Le sempiternel coucher de soleil, l’inévitable monument, Tour de Pise ou Mont saint Michel, photographié plusieurs milliosn de fois dans une seule année. La quantité d’images produite nivelle beaucoup les sujets. On n’y échappe pas. Demain c’est ce qui est derrière la photographie qui sera déterminant, enfin c’est ce que je crois en tout cas 😉
Merci Philippe pour cet exposé très enrichissant sur l’évolution de la photo ! Et de voir comment la volonté de partager ses images dans l’immédiat bouscule les fabricants de matériel!
Bonjour Benoit,
oui, les temps changent vite pour les fabricants et certains n’en sortiront pas indemnes, c’est certain
Salut Philippe
l’évolution se poursuit, doit-on en être content ou inquiet ? pour ma part je pense que cette évolution est plutôt bonne car le poids des appareils et l’encombrement n’étant pas négligeables au moins c’est une réponse. néanmoins y aura t-il encore le plaisir de faire corps avec l’appareil ? certainement, à voir. comme tu le signales il restera la créativité qui elle sera encore pour longtemps l’appanage du photographe. restons zen….
Salut Jean-Jacques, oui de toute façon personne ne va nous demander notre avis 😉 et puis côté poids et encombrement mais aussi facilité d’utilisation il y aura sans doute beaucoup à gagner
Hello Philippe
J’ai adoré ce bilan/projection !
Je suis pour l’évolution de la photographie ; encore aujourd’hui maîtriser un reflex demande effort et investissement. Si demain la majorité des gens peut réussir des images sans avoir bac+5 c’est un progrès ; ne serait-ce qu’en mettant à la portée de tout un chacun la possibilité de se constituer des souvenirs.
Je suis en phase avec ta conclusion ; le photographe deviendra de plus en plus un artiste et de moins en moins un technicien ; l’un n’empêchant pas l’autre.
Vivement demain !
Salut Philippe,
voilà une conclusion enthousiaste et sympathique !
J’imagine donc qu’on verra de plus en plus de photos léchées mais dénuées d’intérêt (du moins artistique). Il y aura peut-être une réaction avec des photos sales mais artistiques. Néanmoins à mon avis la photo d’art restera, avec ou sans photo computationnelle.
Salut Bernard, oui je crois aussi que les photos en sortie d’appareil seront de plus en plus léchées et peut être un peu artificielle comme c’est déjà le cas avec les smartphones,, mais après on pourra toujours reprendre la main. La photo d’art restera et évietra peut être cet aspect trop automatique et formaté sans nul doute, mais aussi la photo créative
« Computationnel »… voilà un bien horrible anglicisme !
Pourquoi ne pas utiliser » photo assistée par ordinateur » qui est plus parlant ?
Autre question : Où se situe la limite à partir de laquelle on peut parler d’assistance informatique ? Dès qu’on travaille avec un appareil numérique, n’est on pas dans ce cas ? L’enregistrement en jpeg est déjà un traitement, avec des choix d’optimisation faits par le constructeur…
Bonjour Matthhieu, en fait pour éviter l’anglicisme, il serait judicieux d’être les premiers sur le coup … on dit aujourd’hui computationnelle parce que ce terme et ces techniques ont été inventés par les anglo-saxons et de mon côté je souhaite apparaitre dans les résultats de recherche sur ce terme. Mais tu as raison, le terme assisté par … est aussi parlant. En ce qui concerne le JPEG, non car il s’agit d’un rendu essentiellement (contraste, teinte, saturation) exactement ce que proposaient les différents types de films auparavant. Avec la photo computationnelle on va aller beaucoup plus loin.