
L’homme qui chevauchait les arbres – Le contexte de prise de vue
La photo – L’homme qui chevauchait les arbres – a donc été prise en Birmanie, dans la région de Hpa An, en pays Karen. Je prenais des images de la moisson du riz lorsque j’ai vu un homme passer à vélo, avec des réservoirs en bambou accrochés au porte-bagage. Je connaissais l’usage de ces bambous et cela m’a donné envie de revenir.
La récolte du jus de palme
Ces tronçons de bambou sont utilisés pour récolter la sève des palmiers sucriers dont on fait le vin de palme. Tous les jours, parfois matin et soir, des hommes montent tout en haut du palmier, coupent une feuille et en pincent l’extrémité pour que le jus se dépose dans le bambou qu’ils accrochent aux tiges. Selon les pays, on utilise des pots en terre ou aujourd’hui des bouteilles en plastique. Mais le bambou est solide, léger et idéal.
Mal rémunéré et dangereux
La plupart du temps, les hommes qui récoltent le jus de palme, ne possèdent pas les arbres et travaillent donc pour le propriétaire à qui ils reversent une grande partie de la récolte. C’est donc un métier à la fois dangereux et très mal rémunéré. De ce jus de palme, on peut soit faire un alcool léger en laissant fermenter soit du sucre de palme en faisant chauffer et évaporer.
L’image documentaire – L’homme qui chevauchait les arbres
Comme il s’agit d’une scène qui n’existe pas en occident, il était impératif d’être très clair et précis pour faire une photo documentaire, car les spectateurs n’ont aucune référence culturelle. Le premier problème est posé par la hauteur du palmier. Si l’on souhaite éviter de le couper, et qu’on le cadre en entier , alors le personnage est tout petit et l’on n’en verra pas les détails. Si au contraire, on souhaite montrer l’homme qui grimpe en gros plan, on risque de sacrifier la notion de hauteur et donc le côté dangereux et risqué de l’activité. L’avantage dans ce cas précis est qu’il s’agit d’un travail quotidien. J’ai donc pu faire plusieurs séances et réfléchir entre les prises de vues à la meilleure façon de traiter ce sujet.
Un choix aussi informatif ou esthétique
La prise de vue ci-dessous, avec lumière frontale dans le dos est sans doute la plus documentaire. J’ai volontairement coupé le haut et le bas des palmiers pour que l’on voie bien l’homme. On voit également correctement l’échelle de bambou qui est fixée au tronc. En tournant autour du sujet – j’ai pu faire en sorte qu’il se détache bien sur le fond de ciel bleu, ce qui apporte de la lisibilité. J’ai également déclenché au moment où son corps est détaché du tronc ainsi que sa jambe – ce qui indique qu’il est en train de grimper ou de descendre et évite les recoupements de plans.
L’intention
Mon intention était de faire une image à la fois lisible, mais aussi plus esthétique que ce premier essai, car c’est une scène que je trouve vraiment photogénique et j’ai un grand respect pour ces hommes qui taquinent le danger tous les jours en toute humilité.
En réfléchissant, je me suis dit qu’il fallait arriver à donner une idée plus précise de la hauteur de ces palmiers pour que les spectateurs puissent se figurer la difficulté de la tâche. J’analysais donc les images prises en cette journée. Parmi elles, une vue basique prise à l’ultra grand-angle. On pourrait penser que c’est un choix logique. En réalité, c’est un choix instinctif. Certes, les déformations de perspectives génèrent une impression de hauteur, mais en contrepartie le personnage est tout petit et se détache moins bien.
De l’art de rater pour mieux rebondir
Finalement, c’est une photo ratée qui m’a fait comprendre comment faire. On apprend de ses erreurs, si tant qu’on prend le temps d’analyser ses images. Dans la vue ci-dessous, j’avais cadré presque entièrement les palmiers en profitant de la brume qui m’offrait un arrière-plan épuré et donc une bonne lisibilité de l’image. Mais le premier plan (1) vient tout gâcher. Là aussi, c’est une image prise à l’instinct plutôt que réfléchie. Un premier plan à priori c’est censé donner de la profondeur non ?
Sauf qu’ici il apporte une contre-échelle qui, en comparaison, fait paraitre les palmiers (2) plus petits qu’ils ne sont en réalité. Je parle de ce cas classique d’erreur d’écriture au tout début du second volume de la grammaire de l’image. Quand j’ai compris mon erreur, j’ai aussi visualisé comment faire.
Construction de l’image – L’homme qui chevauchait les arbres – et techniques de composition
L’image ci-dessous – L’homme qui chevauchait les arbres – n’a pas été recadrée, mais j’ai eu le temps de travailler ma composition, étant arrivé bien avant lui. J’ai fait un repérage avec ma boussole 3D qui m’a indiqué à quel endroit le soleil allait sortir de derrière la colline. Travaillant en APS-C, j’essaye de faire un cadrage définitif pour préserver un nombre de pixels suffisants.Le premier plan de l’image précédente avait créé une contre-échelle défavorable. Cette fois, j’ai essayé de faire une fausse échelle « favorable ». Autrement dit plutôt que de mettre un bout d’arbre en premier plan, je l’ai mis en arrière-plan. Il est donc mécaniquement plus petit et fait paraitre le palmier plus grand – comme s’il sortait littéralement au-dessus des autres arbres.
Ensuite j’ai appliqué les techniques de composition dont on parle dans la grammaire de l’image. Couper les palmiers pour que le cerveau prolonge la scène et ainsi conserver une taille raisonnable pour l’homme. Enfin, pour éviter de surexposer le ciel, j’ai caché le soleil derrière le tronc. J’ai vu apparaitre les étoiles de l’ex-effet f/16 appelé aujourd’hui starburst (ça fait plus chic sans doute, mais c’est moins parlant).
Hiérarchie des éléments visuels
En ce qui concerne la lecture globale de l’image de L’homme qui chevauchait les arbres – c’est-à-dire la lecture rapide opérée automatiquement par notre cerveau, on a plusieurs patrons dans l’image. Ce sont d’une part la silhouette humaine (1) et d’autre part la haute lumière (2) constituée par le soleil. Celle-ci attire énormément l’œil et il fallait donc la placer judicieusement. J’ai déclenché quand l’homme passait à son niveau. Simple et efficace. D’autres choix auraient bien sûr été possibles.
Cette fois, pas de premier plan, mais un second plan (3) situé derrière le sujet et qui donc le fait paraitre plus grand. Le bas et le haut des palmier est coupé pour forcer le cerveau à s’imaginer leur taille. Cette technique de composition les fait paraitre également plus grand.
Comme beaucoup de photos de silhouette, le succès tient souvent à la simplicité du graphisme et à la lisibilité. Il faut que le sujet se détache pour éviter de former une masse noire ou dit plus trivialement un « pâté ». Donc le timing était important, il fallait déclencher quand le corps de l’homme se détache du tronc. Ce qui se produit régulièrement, mais il faut prendre le temps de regarder attentivement son mouvement pour déclencher durant ce temps fort.
Le point de vue et la focale
J’avais le choix ici, car il y avait de l’espace et il était possible de se déplacer dans les champs. J’aurais pu utiliser mon 400 mm aussi bien que le 85 mm.
En réalité, je me suis placé de façon à avoir le soleil derrière le tronc du palmier où montait l’homme et un ciel uniforme pour une composition minimaliste épurée qui convient bien aux images de silhouette. Ma focale a donc été déterminée par ces 2 choix, car le soleil lorsqu’il sort de derrière la colline est déjà très haut comme on le voit sur la vue générale ci-dessous.
C’est dans ces cas-là que le zoom s’avère un très bon ami du photographe.
Le sens de lecture
Une photo verticale est plus complexe à composer qu’une image horizontale parce que nous avons tendance à la lire de bas en haut. Autrement dit, on se contente par défaut de lever la tête. Notre vision est horizontale, suivant la disposition de nos yeux. Dans une image verticale, la hiérarchie des éléments visuels s’applique aussi, mais moins fortement que dans une image horizontale.
Ici, on a joué sur le sens naturel de lecture de bas en haut en plaçant le sujet plutôt en bas. Les lignes de tronc parallèles et quasiment verticales n’apportent pas beaucoup de dynamisme. Elles sont presque statiques. Le risque avec une lecture de bas en haut c’est que le regard sorte de l’image une fois arrivé au bord supérieur. Ici, c’est la forme des palmier qui borde l’image et crée une forme qui renvoie le regard vers le bas. On parle de forme englobante.
Les variantes
Voyons maintenant les différentes variantes réalisées sur place. Comme beaucoup de photographes professionnels, je tente toujours de faire autant de vues et de cadrages différents que possible. Histoire d’alimenter mes différentes agences photo, mais pas seulement. Comme on le voit en détail dans le stage « Cadrer avec ses pieds », tourner autour de son sujet, ne jamais se contenter du premier jet ou de la photo faite « à l’instinct » est le plus sûr moyen de passer d’une bonne à une très bonne image. La photographie c’est visuel et les idées viennent en cadrant, en essayant.
Coupez, coupez !
Dans cette seconde vue, ci-dessous, je joue à fond la carte du couper pour illustrer la quantité. Ici, on ne voit ni le début , ni la fin, ni les feuilles du palmier. On ne peut donc qu’imaginer sa taille. Et il fait plus grand que dans la première image. Pour exagérer encore la taille de l’arbre, j’ai choisi de mettre la colline en arrière-plan. Une fausse échelle également qui contribue à l’effet de hauteur. Vous voyez que les arbres paraissent bien plus haut que dans la vue faite au grand-angle.
Comparez avec la vue suivante qui montre tout.
C‘est là que l’on voit que la photographie est un langage qu’il convient de maitriser. Je me répète, mais le cadrage à l’instinct et l’œil du photographe ce sont des mythes poussiéreux. Dans cette image, on a de nombreux indices visuels qui nous aident à nous faire une idée juste de la taille des arbres en partant de celle de l’homme puisque tous 2 sont exactement sur le même plan.
Le rôle des indices visuels
En supprimant les indices visuels constitués par les feuilles et le bas de l’arbre on oblige le cerveau à se figurer la taille de l’arbre et l’imaginaire c’est très riche en photographie même dans une image documentaire comme ici.
Voici enfin une seconde version de L’homme qui chevauchait les arbres et qui est aussi ma préférée. Elle illustre bien aussi le rôle des indices visuels. Ici on a une plus grande partie du palmier.
J’ai coupé simplement le sol et le haut des feuilles. Dit en termes de composition, je suis passé d’une forme fermée classique (photo précédente) à une forme ouverte. On parle de cela dans le volume 1 et dans mon dernier stage Écrire ses images.
Jusque dans les années 2000, la composition en formes fermées a largement prédominé. On ne coupe rien donc. La forme (ici l’arbre) flotte dans l’espace. C’est propre, net et ça a été tellement la norme que souvent les photographes adoptent ce style sans même y réfléchir. Quand je dis cadrer à l’instinct, cela se résume souvent à reproduire les codes visuels des générations précédentes. À partir des années 2010, la composition en formes ouvertes s’est imposée au cinéma comme dans les séries de qualité. Cette fois, les formes sont collées aux bords du cadre, coupées, malmenées parfois. Cela donne des compositions plus nerveuses, dynamiques et variées. Tout est question de gout. Mais pour préférer l’une ou l’autre, encore faut-il les reconnaitre et pratiquer les 2.
De l’intérêt de beaucoup travailler
Dans 2 de mes formations, l’accent est mis sur la réflexion et le travail. Le premier jet ne vaut souvent pas grand chose et la facilité est le premier ennemi du photographe. La photo est pas mal ? On passe à autre chose. Plutôt que de jouer la quantité, mieux vaut travailler la qualité. Par exemple la première version est intéressante en presse magasine ou en édition. Le cadrage est simple et la photo a d’ l’impacte visuel même en petit format. La seconde version, elle demande plus d’espace pour s’exprimer, car elle est plus complexe. Nous travaillons sur ces questions dans 2 stages clés : Cadrer avec ses pieds et Écrire ses images.
Le principe du stage « Cadrer avec ses pieds » est simple : plutôt que de vous emmener dans un site sublime au Vietnam ou en Islande avec une lumière superbe et un timing parfait, je vous emmène devant un sujet absolument pas photogénique. Et l’exercice consiste à sortir, non pas une, mais sept belles photos et toutes différentes. En général, les 40 premières minutes personne ne fait grand chose d’intéressant et tout se ressemble. C’est par la suite que ça devient intéressant.
Stages VS Voyages photo
Vous voulez vraiment apprendre à faire de la photo ? Oubliez les magnifiques paysages sélectionnés par un photographe professionnel : c’est lui qui a fait le principal travail. D’accord vous êtes sûrs de ramener des belles photos (c’est le deal), mais elles risquent de ressembler à celles de tous les participants et – d’ailleurs – est-ce complètement les vôtres ou celles de celui qui a trouvé le spot et calé le timing ? Faites vous plaisir en photographiant un truc pas spécialement joli et en faisant quelque chose de superbe, ça c’est un challenge ! Et accessoirement c’est pour cela qu’on fait appel à un photographe souvent…
La promo comme promis
Bon vous avez été jusqu’au bout, bravo alors voici la surprise :
- – 50€ pour le stage Cadrer avec ses pieds du Weekend du 23 au 24 aout 2025 (et uniquement celui-ci) – Code promo à indiquer au moment de la commande : CAPI2308
- – 85€ pour le stage Cadrer avec sa tête du Weekend du 28 au 29 juin (dernière édition – ce stage sera arrêté en 2026) – Code promo à indiquer au moment de la commande : CATE2806
- Places limitées, premiers arrivés, premiers servis !
Pour infos, il y a également de nouvelles dates pour le stage Écrire ses images : du 12 au 14 juillet et du 8 au 10 aout …
Enfin, si l’analyse de L’homme qui chevauchait les arbres vous a plus vous pouvez retrouver d’autres images passées à la loupe sur cette page.
En attendant le prochain article, je vous souhaite de faire de très belles images. N’hésitez pas à commenter et à donner votre ressenti.
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Philippe Body, votre photographe formateur
Philippe photographe de voyage professionnel a deux passions : la photographie et le voyage. Après … lire plus
Après avoir lu et relu cet article, je me demande ce qui est le plus remarquable : les photos, la stratégie pour les réaliser ou la pédagogie de cet article ? Difficile à dire… Merci Philippe pour ces articles et surtout continue…
A tous ceux qui liront ce commentaire et qui se poseraient la question : avec qui apprendre à faire de la photo, je recommande sur la base de mon expérience la participation aux ateliers de Ph. Body, le retour sur investissement est certain et en plus c’est très plaisant.
Merci Jean-François, ça fait chaud au coeur !
Houa ! Je viens de lire l’article en entier sur l’homme qui chevauchait les arbres : j’ai beaucoup appris. Bravo Philippe et quel talent ! Non seulement en tant que photographe mais aussi en tant qu’enseignant. Merci pour ce partage. Ca donne envie de s’inscrire aux stages « cadrer avec sa tete » et « cadrer avec ses pieds ». Je réfléchis, mais c’est peut etre déjà trop tard au vu des places limitées.
Merci pour cette analyse d’image passionnante même pour une amatrice qui ne travaille pas assez, (très clair en te lisant) et un grand Bravo, amitiés Bénédicte
Bravo Philippe ! Super article, bien expliqué. Et les photos !!! Je ne me lasse pas de les regarder, surtout celle où l’on voit le soleil poindre derrière la Colline, je l’imagine la dévalant vers la base des palmiers, feux d’artifices!
Merci Pat, oui c’était tip top comme moment. Il y avait un vieux monsieur qui montait dans ces palmiers immenses, mais il a arrêté un peu avant le covid et passé la main à un jeune (que l’on voit sur la photo…) c’est dans le coin que la photo que tu as choisi en tirage a été faite. Bizz à vous 2
Toujours aussi intéressant et clair !
Merci Philippe
Merci Isabelle belle soirée à toi