sur le chemin du marchéIl y avait longtemps que je n’avais pas posté une analyse d’image : voici donc – Sur le chemin du marché – une photo publiée dans le second volume de la Grammaire de l’image – au second chapitre – traitant de la lumière et de l’exposition. L’image a été faite lors d’un voyage photo en Birmanie que j’accompagnais en 2020. Philippe Body.

Sur le chemin du marché – Le contexte de prise de vue

Cette photo a donc été prise en Birmanie au bord du lac Inle. Comme il y a peu de routes, les habitants viennent en bateau au marché qui se tient une fois par semaine. Les vendeurs arrivent la veille ou à l’aube et les clients dès le lever du soleil, la navigation sur le lac étant hasardeuse de nuit.

Les villages sont petits sur le lac Inle et il n’y a donc pas beaucoup de magasins, ce qui explique la grande popularité des marchés. Au moment de la prise de vue, le soleil n’est levé que depuis une demi-heure environ et je guette des personnes passant sur le petit pont en bois qui enjambe un ruisseau. Je cherche à faire une photo de silhouettes pour conserver au maximum les belles couleurs du ciel. Je sais que j’ai très peu de temps, car dans quelques minutes le soleil sera trop haut dans le ciel pour être inclus dans la composition.

sur le chemin du marché analyse d'image

Les exifs – Sur le chemin du marché

Commencez par essayer de deviner quelles étaient (en gros) les données de prise de vue :

  • vitesse
  • ouverture
  • focale

L’intention

Mon intention était très simple : montrer les gens allant au marché en silhouette dans le cadre majestueux du lac Inle. Comme pour toute bonne photo documentaire, il faut inclure des indices visuels sur le lieux, l’heure, etc., qui vont apporter de l’information et enrichir la photo. On parle de valeur sémantique : un mot savant pour dire que l’image dit ou décrit un plus ou moins grand nombre de choses. Ci-dessous, vous voyez dans l’image – Sur le chemin du marché – la répartition des indices visuels.
sur le chemin du marché - indices visuels

  1. le soleil encore bas nous dit qu’il est soit très tôt (lever de soleil) – soit tard (coucher de soleil),
  2. la brume complète l’indice N°1 – ce ne peut être que le matin – ce qui correspond aux horaires du marché,
  3. les montagnes au loin forment l’environnement typique du lac Inle,
  4. les temples que l’on voit (oui en petit je sais) complètent l’indice N°3,
  5. et 6 – 7 8. les paniers sont l’accessoire indispensable des personnes se rendant au marché.

Exif – Sur le chemin du marché – Réponses

  • Vitesse 1/750° de seconde – le réglage est déterminé par les piétons qui marchent. J’aurais pu miser sur le 1/250°, mais je n’avais pas envie de la rater.
  • Focale 55 mm (équivalent 85 mm en 24×36) – on voit qu’il s’agit d’un petit téléobjectif, car le premier plan n’a pas une importance exagérée. Cela indique l’utilisation d’une focale standard ou petit télé et un point de vue en légère contre-plongée,
  • Ouverture f/8 – il n’y a pas vraiment de flou de profondeur de champ. J’ai choisi une ouverture moyenne car toutes les personnes ne sont pas sur le même plan. Celle de droite est plus proche de moi,  car je suis un peu de biais par rapport au pont,
  • ISO : 400 – une valeur un peu élevée (j’aurais pu choisir 200 ISO et une vitesse de 1/350° sec. et cela aurait été pareil), mais avec mon boitier il n’y a quasiment aucune différence, donc je ne prends pas de risque.

Construction de l’image – Sur le chemin du marché – et techniques de composition

L’image n’a pas été du tout recadrée, mais j’avais eu le temps d’affiner la composition, car plusieurs personnes sont passées sur le pont avant que je déclenche. D’une manière générale, comme je travaille souvent en APS-C, j’essaye de faire un cadrage définitif. Cela préserve un nombre de pixels suffisants pour tous les usages futurs et me forcent à mieux préciser mon intention.

Hiérarchie des éléments visuels

En ce qui concerne la lecture globale de l’image – Sur le chemin du marché – c’est à dire la lecture rapide immédiate opérée automatiquement par notre cerveau, on a plusieurs patrons dans l’images. Ce sont les 4 humains (1-2-3-4) bien entendu. Ce sont eux qui attirent l’œil en premier et, ceux placés au centre gagnent en importance.  Le soleil (5) – comme toujours lorsqu’il est inclus dans la composition attire également beaucoup l’œil car c’est une zone de haute lumière très forte, qui a la forme d’un point – qui est une forme très puissante en composition. Enfin l’arbre a également un rôle important : il ferme le côté gauche, forçant le regard à partir vers la droite – ce qui est également le sens de l’action. Comme il est collé partiellement aux lignes de cadre celui lui donne beaucoup de force et de stabilité. Il donne donc le sens de lecture de l’image.

Dans cette logique, si les gens revenaient du marché et se déplaçaient de droite à gauche, l’image fonctionnerait beaucoup moins bien et l’on aurait un peu l’impression que les personnes iraient se « cogner » dans l’arbre.
.

 

Structure de l’image – Les lignes

Les lignes verticales – l’arbre à gauche (1), les piliers du pont à droite (2) et (3) – sont des lignes statiques. Elles donnent de la rigueur à la composition et encadrent la scène. Les lignes obliques – celles du chemin (4) de l’escalier menant au pont (5) apportent du dynamisme à la scène. Tout comme la ligne oblique formée par les personnages dans l’image (6). Enfin la ligne des nuages (7) répond à cette disposition des lignes obliques de la partie basse de la photo – ce qui créé un rythme, une répétition agréable.

Le point de vue et la focale

Ces lignes sont déterminées par les objets eux-mêmes (pont, sentier, etc.), par le choix de la focale et du point de vue. Pour faire une belle image de silhouette, il faut que le sujet se détache sur un fond plus clair. J’ai donc adopté un point de vue aussi bas que possible, en utilisant le moniteur LCD de l’appareil pour viser. Je me suis donc déplacé physiquement pour trouver le meilleur compromis et ensuite je me suis contenté de zoomer. J’aurais pu rendre les lignes plus dynamiques en me rapprochant du pont ce qui m’aurait permis d’utiliser une focale plus courte et donc de faire une contre-plongée encore plus forte. Celle-ci m’aurait donné des lignes obliques plus penchées donc plus dynamiques. Mais je ne voulais pas sacrifier les montagnes et la brume au loin en me rapprochant encore plus. Au final, je ne regrette pas mon choix car le mélange ligne statiques, lignes dynamique fonctionne bien dans cette image.

Il ya pas mal de petits défauts dans cette image, mais ils ne sont pas trop gênants. Ce sont comme souvent des recoupements de plans.

 

  1. le bas du corps de la personne se confond avec le sentier – les 2 étant de même couleur (tons sombres presque noirs) et à contrejour,
  2. le panier est collé aux jambes de la femme – là encore les 2 étant de même couleur, ils ne font plus qu’un et créent un recoupement de plans,
  3. le corps de la femme recoupe la rampe de l’escalier – celui-ci était inévitable,
  4. l’espace entre le panier de la femme à droite et le pilier du pont est infime, comme entre son pied relevé et le pilier, mais le recoupement est évité.

Le temps du déclenchement

Dans une scène d’action et de rue, comme dans cette photo – Sur le chemin du marché – le moment du déclenchement est évidemment très important. Dans ce cas précis, il n’y a pas vraiment de climax comme dans la photo sportive ou animalière parfois, mais il y a des temps forts. Je décris en détail cette notion dans le volume 2 de la Grammaire de l’image, mais pour faire court, un temps fort est un moment où l’action est particulièrement élégante, graphique, esthétique, intéressante, etc.  Dans cette image, je n’ai pas fait le choix du mode rafale, car je voulais à tout prix éviter au maximum les recoupements de plans. Or la femme tout à droite par exemple touche pratiquement les piliers droit et gauche. J’ai donc géré manuellement, en mode vue par vue pour une plus grande précision.

Toutes les personnes dont on voit le bas des jambes ont le même pied (droit) levé à peu près de la même façon. C’est le point fort de cette image. Cette répétition créé de l’unité, de l’harmonie. Il y a un effet temps suspendu. Il y a une autre répétition qui contribue à donner de la puissance et de l’intérêt à l’image. Est-ce que vous la voyez ?

Lorsque l’on est sur place, on est évidemment très concentré et en ce qui me concerne, j’étais focalisé sur la personne de droite. En effet, je voulais déclencher au moment où elle était pile entre les 2 poteaux. Il y a donc une part de chance comme dans toute photographie d’action.

Rythme et répétitions

C’est aussi une notion abordée dans le volume 2. Le rythme en photographie, comme en musique nait de la répétition. Un piéton qui lève le pied gauche, c’est bien, 2 c’est mieux, 200 et bien c’est sans doute un défilé militaire… Le rythme peut être physique ou graphique (répétition de lignes, de formes, etc.). Dans l’image – Sur le chemin du marché – il y a donc cette répétition des pieds levés, mais ce n’est pas la seule. Il y a aussi entre les différentes personnes un espace similaire qui contribue à répartir harmonieusement les masses dans l’image. Les paniers eux créent un élément de rupture. Chaque personne en porte un, mais devant ou derrière, décollé ou collé au corps.

Vous voyez à quel point le fonctionnement et donc l’intérêt d’une image tiennent à peu de choses.

1/2 seconde plus tard

Voici la vue suivante. Rien à voir et pourtant, c’est la même lumière et les mêmes personnages. Il y a juste 1/2 seconde entre les 2 photos. Mais tout a changé.

  • 1 > le poignet droit recoupe le baton derrière la femme. Recoupement de plan = moins de lisibilité
  • 2 > le panier est collé aux jambes de la femme, ce qui rend la silhouette un peu moins fine et on ne distingue pas ces jambes
  • 3 > la jambe gauche de l’homme tape dans le poteau. Recoupement de plan = moins de lisibilité
  • 4 > la femme tape dans le poteau. Recoupement de plan = beaucoup moins de lisibilité
  • 5 < une bache bleue pas vraiment intéressante apparait dans le cadrage
  • 6 > on voit moins les temples derrière

Pour cette seconde vue, ma contre-plongée est un poil moins prononcée, j’ai donc relevé légèrement et probablement sans m’en rendre compte mon appareil. Du coup, les pieds sont coupés ce qui rend les personnages moins aériens. Mais surtout, cette fois, les recoupements de plans enlèvent beaucoup de lisibilité à l’image. En d’autres termes c’est brouillon.

Travailler sur place – analyser ensuite

Comme vous le voyez ce qui fait qu’une image fonctionne ou pas ne tient vraiment pas à grand chose. Évidemment sur place on ne peut pas penser à tout. La priorité doit être donnée à l’action, au point de vue et à la lumière. Mais c’est pour cela qu’il est aussi important d’analyser ensuite ses images et de comprendre ce qui fonctionne – ce qui ne va pas et donc ce que l’on va devoir améliorer ensuite. Car et c’est ce qui est merveilleux, les situations se répètent. Les mêmes problèmes se posent et l’analyse vous permet d’être meilleurs… la prochaine fois.

L’analyse de l’image – Sur le chemin du marché – vous a plu ? Retrouvez d’autres analyses d’images sur cette page. Comme vous le voyez, il ne s’agit pas de juger ou de critiquer, mais bien d’analyser ce qui fait qu’une image fonctionne ou pas. C’est évidemment le thème (entre autres) de notre stage Grammaire de l’image tout comme celui-ci du livre Les secrets de la composition. Nous prolongeons d’ailleurs la promo de Noël (30€ port compris le volume 1 ou 2) jusqu’au 10 janvier.

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En attendant le prochain article (sur les lecteurs de cartes mémoires et un autre sur les cartes mémoires, puis sur un grand photographe, je vous souhaite à toutes et tous une très belle année 2025 et bien sûr des photos toujours plus belles.

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Philippe Body, votre photographe formateur

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Philippe photographe de voyage professionnel a deux passions : la photographie et le voyage.  Après  … lire plus

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plusieurs séjours en Afrique, il se rend en Asie et c’est l’éblouissement. A la fin des années 80, il réalise ses premiers reportages en Inde, dont un sujet sur l’inaccessible ethnie Muria dans la province reculée du Chattisgarh et le gigantesque projet de barrage Narmada. Plusieurs publications s’ensuivent et ses premiers reportages sont diffusés par l’agence VU. En 1990, il est l’un des premiers photographes à revenir au Vietnam qui sort enfin de son isolement. Cinq ans plus tard, il entre à l’agence Hoa Qui, spécialisée dans la photo de voyage avant de rejoindre en 2007 la prestigieuse agence Hemis.fr. En 2010, il créé le site “www.avecunphotographe.fr” pour proposer ses propres stages et ceux de quelques photographes de grande qualité. Aujourd’hui son travail est diffusé par les agences Hemis.fr – Getty et AGE fotostock ainsi que sur son propre site professionnel www.philippebody.com

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