La submersion est une image publiée dans le second volume de la Grammaire de l’image – au chapitre sur l’intention que nous allons aujourd’hui analyser.
La submersion – Analyse d’image
L’image n’a pas été recadrée, malgré des conditions de prise de vue un peu rock and roll. La mer montait en effet très fort ce jour-là, avec un gros coefficient de marée. Je cherchais à avoir un effet d’immersion, c’est-à-dire à mettre le spectateur à la place du photographe. En l’occurrence, cela signifiait les pieds dans l’eau. Pour cela, l’eau devait arriver jusqu’au trépied et me dépasser ce qui pose des problèmes de stabilité et peut être dangereux si la vague est plus forte que prévu.
Les exifs – La submersion
Commencez par essayer de deviner quelles étaient (en gros) les données de prise de vue :
- vitesse
- ouverture
- focale
Réponses
- Vitesse 2,5 secondes – on voit au premier plan qu’il y a un effet de mouvement (assez léger) ce qui indique une vitesse relativement lente. On pourrait penser que la vitesse était plutôt de l’ordre de 1/15° ou 1/4 de seconde, mais le faible effet de mouvement est dû à la très courte focale,
- Focale 10 mm (équivalent 15 mm en 24×36) – on voit qu’il s’agit d’un grand angulaire, car les lignes verticales près des bords l’image (2 et 3) sont légèrement obliques. Cela indique l’utilisation d’une courte focale et un point de vue en légère plongée,
- Ouverture f/7.1 – là il n’y avait pas beaucoup d’indices, car il n’y a pas vraiment de flou de profondeur de champ. Mais ici, c’est la vitesse qui m’intéressait plutôt que la profondeur de champ et il n’y avait pas beaucoup de lumière,
- ISO : 500 – cela ne change rien à l’aspect créatif de l’image, mais cela a permis d’ajuster la vitesse sans recourir à une trop grande ouverture pour garder un peu de profondeur de champ.
L’intention
Pour ceux qui ont oublié ou n’ont pas encore lu le second volume, je rappelle l’histoire de cette image – La submersion . Elle fait partie d’un sujet sur les effets concrets du réchauffement climatique. Cela a commencé avec la vue ci-dessous prise en juin 2020 qui est une photo essentiellement documentaire. Dans ce genre photographique, la lisibilité – c’est-à-dire la capacité à être bien comprise – prime sur l’esthétique. Il s’agit de maitriser le sens de lecture : ici, l’œil est attiré par le panneau (1) qui cumule 3 éléments placés au top dans la hiérarchie des éléments visuels : le texte imprimé, une zone de haute lumière et des couleurs pures et saturées. On commence donc la lecture par le côté gauche – ce qui n’a rien d’automatique.
Ensuite, le trapèze formé par le panneau dirige le regard vers les arbres à droite de l’image. Le trapèze -comme le triangle – est une forme dynamique. Ici, il est créé par le fait que le photographe n’est pas parallèle au panneau, ce qui provoque une déformation horizontale. Les arbres (3) vers lesquels dirige le panneau sont flous, mais suffisamment reconnaissables. Cela a un gros avantage : le regard ne s’attarde pas longtemps dessus et revient au panneau. Enfin, le petit espace de mer (4) à gauche du panneau évite de donner trop d’importance à celui-ci, apporte de la profondeur et donne plus d’importance à l’océan.
Documentaire VS Esthétique
Bref, c’est une image documentaire, mais bien écrite. Seulement voilà, si elle est claire, explicite, elle manque quand même d’impact visuel ou dit autrement ça ne fera pas une double page dans un bon magazine. C’est une photo qui peut venir en seconde ou troisième place dans une série, pour expliquer, préciser la situation, mais ce n’est pas une tête d’affiche.
L’image mentale
Sur place, j’ai commencé à imaginer ce que ce spot pourrait donner lors de grandes marées, quand les arbres ont les pieds dans l’eau. Je me suis fait une sorte d’image mentale de la scène et cela m’a motivé à revenir. Ce que l’on appelle une image mentale c’est ce que vous imaginez à partir de ce que vous avez sous les yeux. Par exemple, vous êtes sur une plage et vous imaginez ce que cela va donner avec un joli coucher de soleil. Ou bien, vous regardez un paysage de mer et vous pensez à ce que ça va donner avec un effet de pose longue. Évidemment, la photo finale ne ressemblera pas à votre image mentale, mais celle-ci va vous motiver et c’est cela qui est important. La seconde fois, j’ai fait des vues moins informatives, plus esthétiques, mais ce n’était toujours pas ce que j’avais en tête. La faute au soleil… preuve que les photographes ne sont jamais contents avec la météo qu’ils ont. Mais l’image mentale « idéale » que je me faisais a gagné en précision.
Je me plutôt représentais une ambiance de fin du monde, un combat entre l’océan et les arbres. J’ai pris le temps d’analyser les images déjà faites, les temps de pose notamment pour les effets de mouvement, pour voir ce qui allait ou pas. Je suis donc revenu, un mois plus tard, un jour de très grande marée et par mauvais temps. Cette fois, le résultat obtenu était conforme à mon idée.
Construction de l’image et techniques de composition
Mon idée était de mettre le spectateur, les pieds dans l’eau, pour qu’il « ressente physiquement » les effets de l’érosion des côtes. J’ai utilisé la technique de premier plan immersif qui nécessite un très grand angle (ici un 10 mm) et une légère plongée. Cela fait remonter l’horizon dans le tiers supérieur de l’image et donne beaucoup d’importance au premier plan. J’ai choisi un arbre déjà tombé qui contrastait avec ceux situés plus loin et qui étaient encore debout. Cela forma aussi un contraste avec les lignes verticales (arbres) et les lignes obliques (en bleu).
Le réglage de la vitesse – était essentiel, car je ne voulais pas d’effet pose longue, mais juste un peu de mouvement pour apporter du dynamisme. Un effet de pose longue aurait apporté un côté irréel à l’image qui lui aurait enlevé son côté inquiétant. La scène est préoccupante parce qu’on sent qu’elle décrit une situation bien réelle. Pour les mêmes raisons, j’ai limité la plongée pour ne pas trop déformer. L’effet de réel donne de la force à l’image. l’avantage, c’est que j’ai eu le temps d’étudier les effets de mouvement sur ma première série d’images. La photo c’est comme le chili con carne, c’est souvent meilleur réchauffé (comparaison hasardeuse j’en conviens).
Côté technique, l’effet de mouvement a été possible grâce à un filtre neutre – de densité variable ici – et un gros trépied pour supporter le mouvement des vagues. Malgré tout, une image sur 2 en moyenne présentait un flou de bougé causé par l’eau.
QUIZ
Pour terminer, analysez les images ci-dessous et essayer de voir – en fonction de l’intention quelle est la meilleure. L’intention est de montrer les effets concrets du réchauffement climatique et en particulier ici, l’érosion des côtes.
1 > Regardez et comparez les 4 images puis décidez laquelle vous parait la plus intéressante pour notre sujet. Expliquez pourquoi.
2 > L’image N° 4 a été faite d’un point de vue différent et en hauteur. Est-ce que cela apporte plus de lisibilité ? Est-ce que cela apporte plus de réalité ? Ou autrement dit l’image est-elle aussi « immersive » que les autres.
3 > Quel élément de composition est présent dans l’image N° 3 et absent des N°1 et 2 ?
4 > Quelle différence entre – la submersion – l’image sélectionnée (en haut de cet article donc) et l’image N°3 ? Qu’est-ce-que cela change ?
Image N°1
Image N°2
Image N° 3
Image N°4
Réponses
Réponse 1 :
Celles qui expliquent le mieux le sujet – de l’érosion des côtes sont les images N°3 et 4. La N°3 parce qu’elle reprend les codes de la photo sélectionnée (au début de l’article). Elle est immersive, elle montre à la fois des arbres déjà à terre et des arbres encore debout.
La n°4 met l’accent sur la berge effondrée visible au premier plan. L’arbre dans l’eau et les autres encore reliés à la berge, mais déjà tombés sur la gauche expliquent aussi bien le phénomène.
Réponse 2 :
Oui, le point de vue en hauteur – comme presque toujours – apporte de la lisibilité, mais c’est un peu au détriment du côté immersif de l’image. La mer est loin et donc moins menaçante. Le vrai problème avec cette image est que les troncs sont coupés (par les services de la ville). Sauf que l’on ne comprend pas forcément pourquoi et cela brouille un peu le message. Est-ce l’érosion qui est la cause de la chute de ces arbres ou des coupes sauvages ? Bien sûr, la légende est faite pour préciser ce genre de chose, mais pour une image d’ouverture du sujet; cela manque de clarté.
Réponse 3 :
L’élément manquant c’est le contraste entre les arbres debout et ceux déjà à terre. C’est pour cela que ces 2 images – jolies par ailleurs et que l’on peut préférer – sont moins fortes.
Réponse 4 :
La différence principale c’est l’absence d’arbres sur le côté gauche. Dans l’image – La submersion – ci-dessous – il y a des branches coupées à gauche et à droite. Outre qu’elles ajoutent un effet de réel en donnant un côté fouillis et non parfait au cliché, elles laissent à penser qu’il y a d’autres arbres. Quand vous coupez un élément, le cerveau le recompose. Donc pour exprimer la quantité, c’est mieux. Et c’est ce qui manque à la vue N°3. Elle est aussi moins immersive, on n’a pas les pieds dans l’eau.
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Philippe photographe de voyage professionnel a deux passions : la photographie et le voyage. Après … lire plus
Merci pour ces commentaires sur ces belles photos. Je reconnais le lieu : images faites lors d’un stage pause longue ? Contente de voir ces clichés et l’analyse que tu en fais qui est riche d’enseignement sur ce que dit une image.
Belle et heureuse année à toi. Chantal
Merci Chantal, très content que cela te plaise. Belle journée
Bravo et merci pour ces analyses d’images pertinentes et qui permettent en ce qui me concerne de progresser. Je vois maintenant avec vos analyses les photos d’une manière différente. je vais très certainement acheter vos livres pour en apprendre d’avantage.
Bonjour Yanik, merci d’avoir pris le temps de commenter et bonne lecture si vous achetez les livres, j’espère qu’ils vous plairont et vous aideront à progresser.